Introduction à mon Journal de ma bibliothèque :

Je collectionne les livres comme on collectionne des tableaux. C’est visuellement que je collectionne les livres. C’est visuellement que je les pèse pour les intégrer à ma bibliothèque. Ils sont ainsi des objets à regarder. Seulement éventuellement à lire aussi. C’est que ces livres sont pour moi avant toute chose les reliques animales de ceux qui les ont écrit. Ce qui m’intéresse en vérité, c’est l’existence de ceux qui les ont écrit. Bien plus que ce qu’on peu lire d’eux. Je collectionne ainsi des existences d’auteurs et de lecteurs et je constitue avec toutes ces existences une carte animale du sentiment poétique de l’existence. Une carte mentale qui me sert à m’orienter animalement dans mon existence visuelle de poète idiot. Je cartographie à l’aide de cette carte ma propre existence animale en tenant mes journaux. Je suis bien ainsi le cartographe-diariste de mon existence animale.
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Je veux peser les livres comme je pèse les femmes. J’aime découvrir des femmes nouvelles. J’aime faire rentrer dans ma collection de femmes de nouveaux corps de femmes. Mon corps est ainsi pour tous ces corps de femmes une sorte de bibliothèque. J’écris ces journaux pour donner un sens poétique à ce corps-bibliothèque. Il n’y a pas beaucoup de corps de  femmes que j’ai le désir de lire du début à la fin. Souvent un seul regard me suffit. Un seul regard me comble. Il me semble que je possède tout entier ce corps de femme par ce seul regard. Que donc je n’ai absolument pas le besoin d’aller plus loin dans mon exploration de ce corps. Il y a bien cependant des femmes que je cherche à lire et à relire. Que je cherche à ne pas seulement peser mais aussi à savoir. C’est bien la question du savoir qui surgit ici. Je veux savoir parce que je ne peux pas me satisfaire ici de la simple pesée par le regard. C’est alors que je me mets à peser amoureusement ces femmes là où jusqu’ici je n’avais fait que travailler à les peser affectivement. L’image ne me suffit plus. Je veux savoir l’être de l’image. Je veux connaitre la vie de celle qui a créée pour moi l’image de son corps. Apprendre à connaitre celle qui a dessiné ainsi à moi l’image de sa présence physique, l’image de sa voix. Je veux alors pousser plus loin mon exploration. Et ce qui se passe alors c’est que le corps se met alors ainsi à disparaitre pour moi et que c’est l’âme de la personne qui prend sa place. J’apprivoise son être et tragiquement alors je fais disparaitre pour moi la magie de son image. Peut-être est-ce la même chose pour les livres. Les livres que je lie entièrement : je me saisi alors de l’âme de ceux qui en sont les auteurs mais du même coup je tue un certain mystère de ces livres. Une certaine magie. Je vivais jusqu’ici musicalement ces livres mais en apprenant à les savoir je fais que le mystère de cette musique cesse pour moi. Ils ne sont plus alors aussi désirable qu’avant. C’est que j’apprends à ne plus les désirer en apprenant à ne plus les aimer.
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J’ai à l’instant un souvenir. Je devais être à l’époque en licence à la Sorbonne. C’était l’époque de mes premiers textes. Je m’étais acheté un livre de psychanalyse à la librairie PUF qui se trouvait place de la Sorbonne. Un livre sur le voyeurisme. Je m’étais dit que je trouverais dans ce livre l’explication que je cherchais à ma façon d’aimer les femmes. Je savais déjà l’importance pour moi de la vision dans mon rapport aux corps des femmes. Je voulais savoir si j’étais un pervers. Si ma sexualité était celle d’un pervers. Je n’ai jamais lu ce livre. J’ai du le revendre à Gibert Joseph quelques années plus tard sans même l’avoir ouvert. Je ne savais encore pas bien à l’époque choisir mes livres.
Je sais maintenant que les livres ne nous apprennent que ce que nous avons été en mesure d’apprendre par nous-mêmes. On ne lis vraiment que les pensées qu’on a avant élaboré soi-même. Il faut vivre pour écrire le livre de son existence. Ça n’est qu’ensuite qu’il faut lire pou retrouver chez quelques d’autres les pensées qu’on a déjà soi-même formulées. Les pensées qu’on a déjà soi-même crées.
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La relation affective que j’entretiens avec les autres auteurs : une relation basée sur l’imaginaire. Une relation basée sur mon sens de la parodie. J’apprends à aimer affectivement ces auteurs en travaillant à les parodier de façon imaginaire. J’ai rendu visible ces relations littéraires en tenant mon Journal de ma bibliothèque.
   

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