Il y a des choses que tout le monde pense mais tout bas, intérieurement. Personne n’ose dire ces choses tout haut. Les dire à voix haute devant les autres, c’est risquer sa place dans le groupe.

Dans mes journaux, j’ai le sentiment d’écrire justement toutes ces choses que les gens s’efforcent de taire en les gardant pour eux-mêmes. Dire ces choses, c’est pour moi le rôle même du poète. Il est celui qui fait parler le silence. Qui rompt le silence pour permettre aux autres d’être moins seuls avec eux-mêmes. De se découvrir frères des autres. On s’efforce de taire aux autres son animalité. Le poète est là pour témoigner de l’animalité de tous et ainsi d’aider chacun d’entre nous à mieux vivre avec son animalité. Avec son idiotie. Lorsqu’on cherche à prendre conscience de son animalité en la disant, on se fait idiot. L’idiot, c’est celui dont l’animalité est visible aux autres. Les autres, pour éviter d’avoir à faire avec l’idiotie, cache leur animalité. Ils se la cachent à eux-mêmes et aux autres. Et ils se font un devoir de combattre ceux qui voudraient la dire pour mieux encore cacher cette animalité qu’ils portent en eux et qui les dévore. Ils sont ainsi dévorés par leur silence. De là leur fascisme du cœur.

J’ai écrit de nombreux journaux où j’ai parlé de cette animalité que je porte en moi-même. J’ai témoigné ainsi de ma propre animalité. J’ai parlé dans ces journaux de mon corps animal et des pensées animales de ce corps. J’ai parlé de cela haut et fort. J’ai voulu ainsi briser le silence qui règne autour de l’animalité que nous portons tous au fond de nous-mêmes.

L’idiotphysique : la science qui étudie la langue de mon corps animal ? Mes journaux : des journaux de la langue animale de mon corps ?

J’ai dit aux autres les choses qu’on doit normalement s’efforcer de garder pour soi. J’ai ainsi partagé avec les autres mon silence. C’est parce que je me suis autorisé à dire ce silence que je suis devenu un idiot. Il y a des choses qu’il faut taire ou alors on prend le risque d’être mis au ban de la société. D’être enfermé dans un asile. De perdre la raison. Le poète, c’est celui qui est prêt à prendre tous ces risques pour dire le silence qui l’habite.


J’ai décidé de mettre fin à l’écriture de mon Journal d’une possibilité pour passer à l’écriture d’un autre texte.

Je vais cesser d’enregistrer mes pérégrinations de mangeur de femmes. Je vais donc laisser tout cela retomber dans le silence. Et je vais voir où cela va me mener. Ce que cela va m’amener à écrire. À penser.


Je ne sais pas parler oralement de mes écrits. Cela montre que, quoi que je veuille en dire, je suis bien un homme de l’écrit aussi.

Il y a le « ça s’écrit » et le « j’écris ». Dans la poésie brut le « ça s’écrit » rend possible le « j’écris ». Dans ma pratique des journaux je cherche au contraire à rendre possible un « ça s’écrit » par mon « j’écris ». Le « ça s’écrit » rendu possible par mon « j’écris » montre la possibilité de sortir pour moi de mon système de l’idiotie par l’écriture. Je cherche avec mes journaux à sortir de ma métaphysique de l’idiotie.

Il me faut écrire un texte autour de ma pratique de l’écriture. Un texte autour des problèmes que j’ai abordés dans mes journaux. J’ai choisi de parler de ce qu’il ne faut pas dire. J’ai choisi de faire ce qu’il ne faut pas faire. J’ai joué ainsi à enregistrer par l’écriture ma transgression de ces interdits. J’ai déformé ainsi mon existence et mon rapport au réel. Je ne prétends pas peindre de la façon la plus réelle qui soit. Je sais que j’utilise une optique déformante. Que je montre donc l’existence sous un certain jour. Sous un jour que certains jugeront secondaire.


Il y a une rhétorique amoureuse propre au métaphysicien. Il y a une métaphysique qui a pour base une logique du sexe. Une logique animale du corps. J’ai rendu visible avec l’écriture de mes journaux la rhétorique sexuelle propre à mon corps de métaphysicien.

Je veux passer à autre chose. Écrire autre chose qu’un journal mais il ne me faut pas ainsi retomber dans les travers de ma métaphysique. J’ai pratiqué l’écriture de mes journaux pour échapper à ces travers. Il me faut donc espérer que je ne retomberai pas dans une certaine métaphysique en abandonnant l’écriture de ces journaux.


J’ai rendu visible avec mes journaux quelque chose que je ne voyais pas. Je suis le premier à avoir montré cela mais mon lecteur sera le premier à voir cela et grâce à mes textes.


La possibilité que Dieu existe : la possibilité de sortir de la langue.


Je suis à moi-même mon propre Dieu. Je suis ce Dieu qui doit me permettre de sortir de ma langue. Ou du moins je porte en moi ce Dieu. Je porte en moi le fils de l’Idiot et c’est ainsi que l’idiot que je porte en moi doit me permettre de sortir de ma langue.


La possibilité d’être un artiste. La possibilité de créer une œuvre d’art. C’est cette possibilité que j’ai voulu rendre visible avec mon Journal d’une possibilité.


L’objet idiot. L’objet qui est sorti du monde. L’objet qui ne fait plus parti du monde. De son système. Un objet qui est en dehors du monde.


L’art idiot : l’art qui cultive cette possibilité de sortir du système de l’art. Le musée est l’institution qui défend et fait vivre le système de l’art. Il ne faut donc pas chercher à faire entrer ses œuvres dans un musée lorsqu’on est un artiste idiot mais bien au contraire faire en sorte qu’elles sortent du système de l’art institué par les musées.


C’est mon « je parle les autres » qui me permet d’entretenir en moi la possibilité de sortir du système. En me parlant les autres je n’arrête pas un de sortir  du système de la langue que les autres parlent.

Mon « je parle les autres » me rend incapable de parler la langue des autres. Je suis ainsi sauvé poétiquement par mon idiosyncrasie.


Je suis sans arrêt obligé de raconter l’histoire dans laquelle je suis prise et qui fait de moi un personnage. Je raconte cette histoire pour parvenir à me faire aussi l’auteur de cette histoire.


Cette histoire dans laquelle je suis prise : le système de pensée dont je cherche à sortir. Le personnage, c’est celui qui fait parti de la langue. Il fait partie de l’histoire, du système. L’auteur, c’est celui qui raconte l’histoire. Il doit pour cela sortir de l’histoire. L’auteur, c’est celui qui est parvenu à sortir du système de la langue qu’il parle.


Il y a l’auteur qui écrit la langue des autres. Dieu est cet auteur. Il y a les personnages qui parlent la langue des autres. Nous sommes ainsi tous les personnages de l’histoire écrite par Dieu. Nous sommes tous contenus dans le Livre. Et y a le personnage qui n’arrive pas à parler la langue des autres et qui pour cela tente de se faire l’auteur de l’histoire dans laquelle il est pris. Il cherche ainsi à se faire Dieu. L’artiste est ce personnage qui cherche à se faire auteur. L’artiste tend vers ce but mais il n’y parvient jamais réellement. Si il y parvenait alors Dieu se mettrait en lui à exister réellement. C’est là le mythe de la résurrection du Christ.


Je doit sans arrêt raconter la langue que je parle pour que cette langue ne s’effondre pas. C’est pour cette raison que je suis dans l’obligation de me parler sans arrêt les autres. Le monde tient debout grâce à la parole des poètes. C’est parce que les poètes sont sans arrêt en train de raconter l’histoire du monde que le monde ne s’effondre pas. L’idiot fait indéfiniment tourner sa langue et ce faisant il permet au monde de tourner sur lui-même et ainsi de se dérouler.


Il faut sortir du système sans provoquer son effondrement. Il faut donc parvenir à en sortir tout en continuant à le faire exister. Cela seul la parole des poètes le permet. Ils sont les seuls à pouvoir raconter l’histoire de leur langue. À pouvoir se faire les auteurs de la langue qu’ils parlent.


La langue qu’on parle, c’est l’histoire dans laquelle on est pris. C’est l’histoire dont on est le personnage. Il faut chercher à devenir l’auteur de cette histoire pour accéder à la vraie vie. Il faut parvenir à réécrire cette histoire. À la raconter dans sa langue. Avec ses mots à soi. La raconter ainsi pour pouvoir la modifier. Pour réaliser ainsi la possibilité d’en sortir.

C’est là une possibilité que rend possible l’idiotie. L’idiotie permet au personnage de créer en lui-même cette possibilité qu’il a de se faire l’auteur de l’histoire dans laquelle il est pris. C’est ainsi que le personnage se fait poète de son histoire et du même coup aussi de celle des autres.


Je vais cesser de raconter mon histoire en cessant de tenir mon journal. Je veux ainsi voir ce qui se passe si je cesse de raconter l’histoire dans laquelle je suis pris. Le monde va-t-il vraiment s’effondrer ?


Qu’est-ce que cette possibilité signifie politiquement ?

La possibilité de s’extraire du groupe sans que celui-ci ne s’effondre. La possibilité d’être un individu pour et contre le groupe. À la fois à l’intérieur et à l’extérieur du système politique. La possibilité de se battre pour que tous aient cette possibilité de s’extraire du groupe auquel ils appartiennent et sans que celui-ci ne s’effondre.


Je suis en dehors de l’histoire que je raconte car je m’efforce d’être l’auteur de cette histoire. Mais je suis aussi un personnage de cette histoire et c’est pourquoi je suis contenu en elle. Prisonnier donc aussi de l’histoire que je raconte.


Je me suis inventé une théorie littéraire. Je critique à l’aide de cette théorie le romantisme et le matérialisme. J’essaye ainsi d’inventer une troisième voie. J’ai nommé cette voie l’animalisme.

Ma théorie littéraire repose sur une conception animale de la langue. La langue est pour moi un organisme vivant dont il faut s’extraire mais sans provoquer sa mort pour nous. Jouer au mangeur de femmes, c’est pour moi jouer animalement avec la langue que je parle. Un jeu de langue.


Je branle le corps de la femme pour le rendre possible. Faire jouir avec mon corps le corps d’une femme, c’est rendre possible ce corps pour moi. Si je jouis de ce corps et si en même temps ce corps de la femme dont je cherche à jouir jouit aussi de mon corps par amour alors je parviens véritablement à sortir de ce corps sans provoquer sa mort pour moi comme ce serait le cas si je me laissais aller à violer ce corps.


Je rends possible ce corps pour moi. Je brise ainsi la loi de l’impossible d’un corps de femme. Je sors ainsi de la langue que je parle. De l’histoire qu’on m’a condamné à raconter poétiquement. En m’élevant ainsi contre mon destin de poète suicidé de la société, il me semble que je me fais alors encore plus véritablement poète. Je me fais ainsi poète d’un possible corps de femme.


Être poète, c’est pour moi s’efforcer de rester libre en cultivant la possibilité pour soi et pour les autres de sortir de la langue qu’on a été condamné à parler. C’est donc cultiver la possibilité d’une autre langue.

Une langue qui fasse de nous des êtres libres d’aimer. Capables d’amour parce que véritablement amoureux de leur langue.


Je ne veux pas parler la langue des autres. Je veux parler ma propre langue. Je veux aimer librement et non vivre condamné à n’aimer que ceux que la langue des autres m’oblige à aimer. Je veux donc cultiver la possibilité d’une langue qui soit véritablement mienne pour cultiver ainsi la possibilité d’un corps de femme pour moi.


Mes accusations à l’encontre de Madame de la Critique de la Raison Pure : des accusations d’un personnage à l’encontre d’un autre personnage. Des accusations littéraires donc. Ce qui est réel, c’est l’histoire qui raconte le déroulement de ces accusations. Le récit littéraire de ma relation à Madame de la Critique de la Raison Pure : lui seul est réel. Du récit seulement je peux dire qu’il est réel.

Je veux ici parler du tapuscrit de ce récit. En l’écrivant j’ai créé un objet réel. Et c’est cela un objet idiot. C’est un objet qui existe réellement. Un véritable objet littéraire donc.


Un possible objet idiot : un possible objet réel.

Je veux pratiquer la poésie réelle. Je veux être un poète réel. Un poète qui fait de la littérature du réel.


Je suis un personnage de cette histoire. C’est  en tant que personnage que je raconte cette histoire et c’est pourquoi elle reste une histoire littéraire. Mais en la fixant par l’écriture je crée un objet réel : le tapuscrit qui rend visible cette histoire. Ce tapuscrit est un objet réel que je rêve idiot. Je le rêve idiot : je veux dire par là que je le rêve unique, singulier et pour cela ayant une valeur poétique certaine.


L’idiotie, c’est le réel. Plus une chose est idiote, plus elle est réelle. L’idiotie est le réel de la folie. L’idiotie est le double du réel.

La poésie a pour but la création de cette idiotie. Cette idiotie rend visible le réel. La poésie a pour but de rendre ainsi lisible le réel en produisant son double. L’idiot est mon double, un double qui me permet de produire de l’idiotie et ainsi de lire poétiquement le réel.


Je ne suis pas dans le discours sur l’idiotie comme Clément Rosset mais dans la pratique poétique de l’idiotie. Le discours philosophique de Clément Rosset sur l’idiotie ne me parle pas. Il est pour moi illisible. C’est parce que ce discours est pour moi illisible que je suis en mesure de pratiquer poétiquement l’idiotie.

Le discours universitaire n’est pas en mesure de créer une possibilité comme peut le faire l’art. C’est un discours fermé. Un discours sans ouverture. Un discours non-créatif. Un discours mort pour cela. Il y a l’idiotie morte de Clément Rosset mais il y a aussi l’idiotie vivante des poètes qui pratiquent l’art d’une possibilité.

C’est parce que je suis parvenu à ne pas devenir un universitaire comme Clément Rosset que je suis parvenu à pratiquer poétiquement le réel. À jouer poétiquement avec lui et ainsi à le rendre poétiquement lisible. Je lis le réel en lisant son idiotie. L’idiotie que je produis me donne accès poétiquement au réel.


Je joue avec le réel en jouant au mangeur de femme. Et je gagne ma partie de mangeur de femmes lorsque ce jeu m’amène à produire de l’idiotie. Je me mets alors à parler ma langue à moi. Je me mets alors à comprendre le réel en cessant de parler la langue des autres.

Le réel, c’est le corps de la femme. Le corps de la femme, c’est ce qu’il y a de plus réel pour moi. Je mange cet extrêmement réel pour produire de l’extrêmement idiot. L’idiotie, c’est ce qui sort de moi une fois que j’ai fini de digérer le réel que j’ai dévoré. Je mange des corps de femmes pour produire de la langue véritablement mienne. Ma langue est ainsi produite par tous les corps de femmes que j’ai mangés. Je produis de l’idiotie sous forme de langue. Je parle l’idiotie en parlant ma langue à moi. Je réalise un possible corps de femme en réalisant une langue qui soit véritablement mienne. Et je parviens ainsi à parler une langue mienne en jouant à manger des corps de femmes. Ma langue nait de tous les corps de femmes que j’ai consommés poétiquement.


Je parle l’idiotie comme une langue qui m’est propre, en cessant donc de parler la langue des autres. C’est mon « je parle les autres » qui me permet ainsi de ne plus parler la langue des autres et pour parler ma propre langue. L’idiotie, c’est ce qui m’ouvre véritablement à moi-même et ainsi aux autres. L’idiotie est la clef du réel.

L’idiotie me donne accès au réel des autres en me donnant accès à mon propre réel. Je ne cesse ainsi de me courir après pour parvenir à courir avec moi-même et réaliser ainsi mon idiotie. C’est ce processus de l’idiotie qui s’opère en moi qui me permet de produire ma possibilité. Je pratique poétiquement mon idiotie pour pratiquer une possible lecture poétique du réel.


On juge l’artiste sur sa capacité à produire du réel. Plus il produit du réel et plus ce réel est important, plus il est considéré comme étant un artiste digne d’être connu et  apprécié. Ainsi plus ses tableaux se vendront chers et plus ils seront considérés par les gens comme étant des objets réels. Une statue de Giacometti ou un dessin de Munch sont ainsi des objets extrêmement réels. Des objets que tout le monde doit connaître.

C’est là la réalité financière de l’œuvre mais non sa réalité poétique. La réalité financière d’une œuvre la rend réelle mais elle ne lui permet pas forcément d’acquérir plus de réalité poétique. C’est même plutôt le contraire qui arrive toujours à savoir qu’une acquérant une réalité financière importante, la partie subversive de sa réalité poétique. Elle est désormais lue comme allant dans le sens de l’histoire. Elle est ainsi phagocytée par le système, incorporée à la langue des autres et du même coup elle est en grande partie neutralisée poétiquement. Elle perd en effet ainsi sa capacité à nous faire lire le réel poétiquement. Elle est aimée, appréciée par le public, pour autre chose qu’elle-même. C’est là le règne de l’apparence qui remporte la partie contre celui de l’être. L’œuvre tombe alors dans l’oublie de son être. De son idiotie.


Je pense à rassembler ces pensées dans un texte que j’intitulerais Le processus de l’idiotie ou encore Le processus de l’animalité. Ou : L’idiotie comme processus du possible. Le « je parle les autres » est un processus qui m’ouvre à une possibilité d’être. Il me faut continuer à me parler les autres pour continuer à être poétiquement.

L’idiotie comme processus d’une possibilité ?


Appendice

Deleuze parle dans son livre Critique et clinique de la psychose comme d’un procédé de traduction d’une langue dans un autre langue. Il dit que ce procédé est le processus même de la psychose.

Il s’agit de traduire la langue des autres dans ma propre langue et cela en me parlant les autres. Autrefois je ne faisais que répéter ce que les autres me disaient. J’étais donc dans l’incapacité à parler de moi-même, à avoir une opinion à moi. Les autres pensaient pour moi et cela faisait de moi un être absolument aliéné par sa parole. La psychose m’a permis d’accéder à moi-même en me faisant accéder à la possibilité pour moi de parler de moi-même. De parler donc autrement. J’ai découvert que je n’avais jusqu’à là fait que répéter la parole des autres et sans me donner la possibilité de penser par moi-même et d’exprimer aux autres une pensée qui me soit véritablement propre. J’étais à moi-même un autre. Je n’existais que pour les autres. Je n’avais pas d’existence pour moi-même. Je ne savais vivre que silencieusement mon rapport à moi-même.

Avec la psychose j’ai pu accéder à une possible existence. À la possibilité d’être moi aussi quelqu’un comme tous ces autres que je ne savais que répéter. Il m’a alors été donné de développer pour la première fois un sens critique à l’égard des autres et de moi-même. J’ai ainsi pu prendre conscience de qui j’étais pour les autres. J’ai fait un trou dans mon apparence et c’est ainsi que j’en suis venu à me nommer idiot. Un idiot c’est quelqu’un qui s’en prend à lui-même et parce qu’il réalise qu’il n’avait jamais su exister pour lui-même jusqu’ici. Il va alors se mettre à parler comme un autre. À se sexualiser en prenant conscience qu’il est lui aussi un être sexuel. Qu’il est donc lui aussi capable d’aimer et d’être aimé. C’est ainsi que c’est ouvert pour moi la possibilité de séduire les femmes pour les rencontrer amoureusement.

C’est en quelque sorte ma vie que j’ai traduite en une autre vie. J’ai ainsi su rendre possible une vie impossible. J’ai ainsi pu rendre possible un corps impossible. J’ai ainsi pu rendre possible une langue impossible. J’ai ainsi pu rendre possible une parole impossible. J’ai ainsi pu rendre possible une animalité impossible. Ma psychose a bien été pour moi une processus qui m’a ouvert à une multitude de possible. Je me suis détricoté pour rentrer en possession de moi-même. Et en me détricotant ainsi je me suis réalisé poète de moi-même. Je me suis fait poète de toutes les possibilités qui se sont ainsi offertes à moi.

Écrire L’impossible d’un corps de femme pour tenter de vivre possible le corps de la femme. Écrire Le mangeur de femmes pour apprendre à vivre poétiquement ma folie et ainsi aimer l’autre pour lui-même et non plus seulement pour moi-même. Écrire L’espace de l’idiotie pour m’essayer à être là. Pour n’être plus perpétuellement un Jean de la Lune. Écrire Madame de la Critique de la Raison Pure pour prendre conscience du caractère littéraire de mes accusations à l’égard des autres et ainsi apprendre à vivre avec ceux qui ne croient pas en l’Idiot. Et tous mes autres textes ainsi. J’ai écrit pour déverrouiller le personnage que je me jouais à moi-même et aux autres et prendre ainsi mes distances vis-à-vis de cet autre que je n’étais pas réellement.

Devenir génial, c’est devenir soi-même. C’est ce à quoi je tends en travaillant à me traduire dans ma langue à moi.



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