Des photographies hors de la ville. 

La ville c’est pour moi Paris.
Dès que je quitte Paris j’ai ainsi le sentiment de quitter la ville. J’ai le sentiment de pouvoir m’arracher ainsi à mes délires de mangeurs de femmes. Je me mets alors à dévorer visuellement l’espace avec mon appareil photo. Je m’invente ainsi un autre délire. J’enregistre avec mon appareil photo cette délivrance.
Je suis un visuel.
L’Eglise propose un équilibre entre le visuel et l’auditif. Notre société pense pouvoir se passer de l’exemple de cet équilibre. La métaphysique est le lieu où se dit cet équilibre nécessaire.
Le monde de l’humanité est coupé en deux, d’un côté les visuels et de l’autre les auditifs. Les poètes sont des visuels du côté de l’écriture. Mieux vaut être un auditif, la vie quotidienne est simplifiée, le monde est fait pour les auditifs. Il y a de moins en moins de visuel, sélection naturelle oblige.
Équilibre nécessaire entre les auditifs (langue/corps) et les visuels (corps/langue). Mouvement de déduction, rationalisme, sociologie, propre aux auditifs. Mouvement d’induction, irrationalisme, poésie, propre aux visuels. Notre société en prônant les qualités du rationalisme à l’école favorise les auditifs. Nous sommes dans le même temps dans une société de l’image, de l’irrationnel et cela pompe toute l’énergie des visuels.
J’explore poétiquement à Paris l’homme privé que je suis en tenant mes journaux. Les visuels sont bombardés à la ville par les images de la publicité de telle façon qu’ils ne peuvent que se soumettre à l’ordre auditif de notre société de la télé-réalité. Les visuels sont ainsi transformés en des consommateurs-automates incapables de se révolter contre le pouvoir auditif des êtres de séduction et de leurs Madames de la Critique de la Raison Pure.
Je veux moi tenter de résister à cet ordre en travaillant à dériver dans la ville. Je travaille à jouer au mangeur de femmes pour rendre ainsi visible les dessous animaux de la ville. Je pense ici à l’art de la dérive tel qu’il a été pratiqué par les situationnistes. L’idiotphyisique n’est-elle pas en ce sens une sorte de psychogégraphie ? Ivan Chtcheglov est le poète de cet art de la dérive.
J’avais le projet de passer une année à la Villa Médicis. Mon projet était de dériver poétiquement dans Rome pour ainsi étudier la ville de Rome à la lumière de l’idiotie.
Je pratique essentiellement cet art de la dérive dans la ville comme un art de tenir des journaux. Je suis en premier lieu un artiste-diariste à la ville.
La montagne : mon lieu ontologique. Un lieu ontologique pour le visuel que je suis. La ville est au contraire pour moi le lieu ontologique des auditifs. Les êtres de séductions qui peuplent la ville sont des êtres auditivement socialisés.
Aimer auditivement une femme : mon amour physique pour les femmes à la ville. J’aime auditivement avec mon corps. J’aime les femmes à la ville avec mon corps.
Aimer visuellement une femme : mon amour mental pour les femmes à la montagne. J’aime visuellement avec ma langue. J’aime les femmes à la montagne avec ma langue.
J’aime ontiquement les femmes lorsque je suis à Paris et j’aime ontologiquement les femmes lorsque je suis à la montagne.
C’est parce que le poète idiot est amoureusement inversé qu’il a ainsi se besoin de tenir des journaux à la ville et de prendre des photos à la montagne.
Un lieu ontique : le contraire d’un lieu ontologique. Paris est ainsi pour moi mon lieu ontique. Un lieu où je peux faire l’expérience matérielle de l’amour : l’expérience de l’amour auditif.  Une expérience concrète de l’amour physique.
Le journal est ma pratique ontique de l’art et la photographie est ma pratique ontologique de l’art. Je pratique ainsi l’art ontiquement lorsque je suis à Paris et je pratique l’art ontologiquement lorsque je suis à la montagne. Je pratique l’art avec mon corps lorsque je suis à Paris. J’écris mes journaux avec mon corps. Auditivement. Je pratique l’art de l’écriture avec mon audition. Je pratique l’art avec ma langue lorsque je suis à la montagne. Je prends mes photos avec ma langue. Visuellement. Je pratique l’art de la photographie avec ma vision.
La montagne est bien ainsi le lieu de la langue tandis que la ville est le lieu du corps. Je travaille mon corps avec ma langue lorsque je suis à la montagne. Je travaille ma langue avec mon corps lorsque je suis à la ville.
La montagne : le lieu de la parole. La ville : le lieu du discours. Je suis ontologiquement un homme de la parole et ontiquement un homme du discours. Les images à la montagne : des images de la parole. Les images à la ville : des images du discours.
A la montagne je peux me laisser être. Je peux me laisser parler. Je suis à la montagne comme un poisson dans l’eau. Je suis ontologiquement dans mon espace naturel. J’ai besoin à Paris au contraire de m’inventer un espace de liberté pour ne pas mourir asphyxié. Cet espace mental : l’espace de l’idiotie. C’est à Paris que j’ai besoin de m’inventer comme un idiot en liberté. Je dois à la ville lutter pour pouvoir continuer à parler. Pour ne pas être définitivement condamné à tenir des discours. C’est pour cela qu’il me faut sans arrêt écrire lorsque je suis à Paris. J’écris pour sauver poétiquement mon être intime. Pour sauver mon être privé.
Les gens de la ville : les rats de la ville. Les gens de la montagne : les lérots de la montagne. La ville est un lieu de perversions amoureuses pour le lérot que je suis. Je ne peux en effet que survivre amoureusement inversé à la ville. La ville est ainsi pour moi un lieu de tentations. Un lieu où mes désirs animaux sont mis à rudes épreuves.
A la ville j’ai besoin de me dédoubler grâce à mon art de l’écriture. C’est ma façon à moi de survivre dans ce milieu amoureusement hostile. C’est là la méthode de survie qui me permet de tenir le coup visuellement à la ville.
La montagne est mon lieu ontologique. Là-bas je n’ai pas besoin de tenir de journal. Il me suffit de prendre des photos en marchant. Je mène à la montagne une existence de visuel. A Paris j’écris parce que je dois mener une existence d’auditif. L’écriture de mon journal remplace mes marches de visuel. C’est ainsi que je veux parler du genre du journal comme d’un genre ontologique pour moi. Le journal est pour moi un genre ontologique comme j’ai pour lieu ontologique la montagne.
La montagne est le corps de femme de la ville. Le corps de la femme est le corps de la nature absente dans la ville. Je fais surgir ce corps de femme absent en jouant animalement au mangeur de femmes. Je vis ainsi dans la mémoire du corps de la montagne. C’est là tout le sens de mes délires de mangeur de femmes lorsque je suis à Paris.
Hors de Paris ces délires prennent fin. Je profite alors du repos que cela confère à mon être intime. Je peux alors m’émerveiller visuellement en cet autre lieu que j’investi animalement avec mon appareil photo.
Je lutte ainsi géographiquement contre mes délires de mangeur de femmes. C’est en quittant Paris que je me libère de ces délires.
Je dévore alors avec mes photos les espaces géographiques qui rendent possible cette libération physique et mentale de mon être intime.

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