Notes sur le Journal d’un criminel (version incomplète) 

Mercredi 12 février 
Le principe d’écriture du journal : la transparence. Tout dire. 
Livre auquel je songe souvent actuellement : La défaite de Pierre Minet. Il y a aussi les confessions de Luc Dietrich. La poésie de Houellebecq et son livre Extension du domaine de la lutte. Dans mon site il y a la rubrique « quelques autres livres ». Je cite scolairement un certain nombre d’ouvrages. C’est de la référence intéressée. Je sers quelques grands noms comme on servirait poliment un supérieur. 
Ma jouissance est encadrée. Je l’encadre. Voir la forme du Traité. 
Dans mon journal il y a encore du « je parle les autres ». De la référence intéressée. Ainsi lorsque je parle de Faulkner, Flaubert et quelques autres grands noms de la littérature. Je reprends ici les noms que cite toujours Bergounioux. Je m’en remets aveuglément à Bergounioux. Moi-même je n’ai jamais lu Faulkner. Flaubert, oui, un peu mais il y a si longtemps. Le poète n’est pas un homme de lettres. C’est un homme qui vit et qui pour cela voit la vie en vivant. 
Faire la chasse à la mauvaise foi. Je me souvient de l’analyse que fait Sartre de la mauvaise foi dans son livre L’Être et le Néant : ce qui pousse une femme à abandonner son bras à un homme lors d’un rendez-vous galant. 
Il y a plusieurs temps dans le Journal : le temps de l’écriture heure après heure, jours après jours et durant un an. J’invente ce rythme par l’écriture. On assiste à la mise en place de cette découverte au début du journal. 
J’ai travaillé comme stagiaire au Mac Val. Un jour, C. , un professeur des Beaux-Arts, est passé et il m’a vu là travailler comme agent d’accueil et de surveillance des salles. Il m’a semblé que lorsque j’étais étudiant aux beaux arts il avait forgé l’espoir que je devienne un grand artiste. J’ai eu de justesse l’UV qu’il encadrait. Il s’était alors écrié : « Je suis déçu ! ». Et plus tard me voyant trainé dans l’école : « Mais un mépris de votre personne ! ». Et voilà qu’il me découvre simple agent d’accueil et de surveillance des salles au Mac Val. Je crois lui avoir ainsi fait violence. Me remémorer cette scène me procure à chaque fois un vif sentiment de plaisir. Quoi, il devrait être une star et il est simplement agent ! Il a contrarié son devenir. Le travail qui m’a ainsi permis de contrarier mon devenir : le vrai travail que je rend visible dans le journal. Ce travail qui consiste à contrarier son devenir, c’est mon travail littéraire à moi. Mon travail de poète donc. Se mettre à distance de soi-même ainsi. Devenir pour soi-même un personnage et écrire ensuite les aventure de ce personnage en tenant un journal de sa vie. Le travail d’écriture devient ici un travail de distanciation. 
Je jouis pour n’avoir plus envie de jouir. Utilisation pernicieuse de la jouissance ? Il y a pour moi une vraie jouissance à écrire. Et je me sauve poétiquement en parvenant à trouver les formes littéraires nécessaires pour encadrer cette écriture-jouissance. 
J’ai lu dans un article qu’un bon joueur de foot devait savoir aussi être un méchant sur le terrain s’il voulait parvenir à devenir un excellent joueur. N’est-ce pas ainsi dans la vie quotidienne ? Si on ne s’oppose pas aux autres par de la méchanceté, on finit par se faire bouffer par eux. Sans méchanceté, pas de survie possible. Ainsi D. , mon oncle : profondément gentil c’est-à-dire profondément idiot. Ou pour dire cela autrement : un demeuré, quelqu’un qui se fait avoir par tout le monde. Un handicapé, un inoffensif. « Un musulman », quelqu’un qui a abandonné la lutte pour la vie. 
Mardi 25 mars 
Personnage. Je deviens l’auteur du personnage que j’ai joué. J’écris avec ma vie. 
Écrit/Oralité. Violence de la Madame : violence orale. La violence que je combats poétiquement. 
Auteur de mon oralité. Le poète est du côté de l’oralité. Le visuel est du côté de l’oralité. 
L’auditif (Jean-Sébastien, Aude) est du côté de l’écrit. 
Le marxisme de Bergounioux, la sociologie, Flaubert : ça marche du côté de l’écrit mais pas du côté de l’oral. Mon texte Madame : dire la violence orale. 
Prendre au piège la violence orale, l’oralité. Sauver la puissance orale, poétique de l’homme. 
L’idiotie : soutenir oralement le personnage que l’on joue aux autres. Parler ce personnage pour que ce personnage ne s’effondre pas. Le personnage est dans l’oralité, l’auteur dans l’écrit et le lecteur dans l’entre-deux (entre écrit et oral). 
Performance orale. Le je parle les autres : parler le personnage, l’idiot, pour qu’il ne s’effondre pas. 
Celui qui écrit n’est pas celui qui vit. L’auteur n’est pas le personnage. Il y a une distance entre eux. Distance de l’idiotie. Cette distance : ce que l’on nomme la conscience. 
Le Traité et les autres textes : écrits du personnage. Le Journal : écrit de l’auteur. 
Rigaut, Vaché, Cravan, Duprey, etc : des personnages qui ne sont jamais devenus des auteurs. Pour ça qu’ils se sont suicidés. 
Ma stratégie littéraire : la stratégie du personnage. Il faut vivre son personnage pour parvenir à être un auteur. Être auteur, c’est piéger le réel. 
Piéger le réel pour cesser d’être un personnage. Pour devenir donc auteur de sa vie. Journal d’un criminel : j’ai tué le personnage que j’ai joué à être pour écrire ce livre. 
Pour piéger le réel, il faut descendre dans la vie, se faire personnage. Démonter le système en descendant dans la vie. Ainsi j’ai fait exister Madame. 
Idiot / Personnage / Auteur : Trois niveaux : Deuxième niveau déjà création poétique. (oral) . Troisième niveau : niveau de l’écrit. 
J’ai créé un Jean-Pierre Duprey pour pouvoir devenir le Breton de ce Jean-Pierre Duprey. C’est-à-dire pour pouvoir m’émanciper comme auteur poétiquement. 
Je suis arrivé pieds et mains liés chez N. G. (ma première psychanalyste). Travail poétique, analytique : se libérer du mauvais esprit oral de Madame. 
J’ai déjoué grâce à la pratique poétique de l’analyse le crime (presque parfait) de Madame. Je suis ainsi parvenu à sortir de sa prison. Roman de capes et d’épées du XIXe siècle comme le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas ou le Bossu de Paul Féval. 
Artaud s’est fourvoyé par une trop grande esthétisation de lui-même. 
Il y a un plaisir du faux, une jouissance du faux et il faut combattre cette jouissance. 
J’ai joué quelqu’un aux autres. J’ai appris par coeur cette personne. Et j’ai du travailler à apprendre par coeur une personne devant apprendre par coeur des cours sur la vie. 
D’un côté mon père et la morale familiale, de l’autre l’artiste et la vie de bohème. Au milieu la lame d’un rasoir. Se maintenir au milieu en évitant de se couper en deux ! 
La folie est une puissance d’esthétisation. Il faut combattre cette puissance pour soutirer la vérité de la folie à la folie et ainsi créer le Beau. 
Il y a beau subversif et beau conformiste. 
Personnalité orale, j’existais oralement. Hölderlin, Nerval : poètes de l’écrit. 
Discussion avec Manuel R. Je suis parvenu à m’aimer moi-même. Lui est parvenu à aimer sa Virginie mais il a dû s’abandonner comme poète pour cela. 
Avant ma capacité à aimer l’autre reposait sur une violente haine de moi-même. 
Derrière le personnage il y a la personne (phrase de F. F.). 
Hier F. F. m’a arrêté sur : J’écris avec ma vie. La semaine dernière sur : Je prend au piège le réel dans mon Journal. J’ai eu beaucoup de mal hier à retrouver cette phrase sur laquelle elle m’avait arrêté la semaine dernière : résistance très forte (silence) 
Lundi 1 avril 2014 
Madame F. m’a arrêté sur : avec mon Journal, pas seulement de l’os mais aussi de la viande, il y a donc quelque chose à manger pour le lecteur. Plus de chair, pas que de l’os. De la viande à manger. De la vie donc. Cannibalisme ? Je donne quelque chose à manger aux autres. J’invente un homme d’os et de chair. La métaphysique : le squelette. Et maintenant je crée avec la vie de la chair. Le contrepoint théorique que Bergounioux dit être discutable dans mon texte : le squelette. Et ce qu’il apprécie au contraire : la viande, la quotidienneté. 
Mardi 2 avril 
L’exagération. Cette histoire que je me raconte avec M. , L. et autres. Je souligne et re-souligne sans arrêt quelque chose qui n’a en vérité pour moi pas l’importance que je semble ici lui donner. Ma description est ici caricaturale et c’est pour mieux faire ressortir la vérité animale du désir, cette vérité que nous nous cachons à nous-même et aux autres continuellement. 
Le délire n’est-il pas toujours en ce sens une sorte d’écriture caricaturale de la vérité ? 
Vendredi 4 avril 
L’idiot : un insecte qui a perdu ses griffes et son armure et qui pour cela ne peux plus ni attaquer ni se défendre et donc par là-même conquérir amoureusement. Plus donc de possible accouplement avec un ou une partenaire. Rendu inoffensif, il est donc condamné à être détruit, dévoré par les autres insectes ou au mieux réduit à l’esclavage. 
Entre le personnage et le sujet, il y a l’idiot. L’idiotie est un passage, ce à travers quoi on doit transiter pour tuer le personnage qu’on a été (le criminel) et ainsi advenir à soi et donc aux autres en tant que sujet. Je donne à voir ce cheminement permanent dans mon Journal. 
Samedi 12 avril 
Hésitation. Publier ou ne pas publier. Je fais le choix de la vérité. 
Le héros de ce Journal, ça n’est pas moi. 
Ceux dont je dis du mal à certains moments. Le ton critique que j’emploie à l’encontre de certains de mes amis, de mes parents, etc. Je le regrette. Je ne veux aucunement leur porter préjudice. Et pourtant toutes ces pensées critiques m’ont traversé l’esprit. Il y a donc un travail de vérité à noter tout cela. Le tout est de ne pas faire que ces pensées soient prises « à la lettre ». 
L’exagération. Par ces pensées je m’exagère. Je crée un héros (ou un anti-héros) mais ça n’est pas moi, celui qui vit dans ces pensées ni d’ailleurs celui qui les écrit. Je prends au piège le réel pour mieux me sauver comme sujet. C’est que le sujet n’est pas là, dans le texte, il est hors du texte, cet autre, cette différence, qui fait par là même exister le texte comme le texte d’un sujet. 
Il y a le personnage, la personne et le sujet. La personne tient encore du personnage, seul le sujet est libre. Il est libre parce qu’il est entièrement hors du texte et je parvient à cela en prenant au piège le réel avec ce texte. 
J’aurais pu faire le choix de censurer des passages, de faire des coupes. Je crois que cela m’aurait amener quelque part à défigurer le texte et ainsi à me défigurer comme sujet. C’est que c’est bien de ces pensées criminelles dont il est question dans le texte. 
Je prends un risque en le publiant. Avec ma famille, mes amis, avec mes collègues. Les noms ont été changés. Là où on ne prend pas de risque en publiant, c’est qu’il n’y a plus rien de valable à publier. Enlever ces passages, ça aurait été dénaturer mon projet d’écriture, rendre donc tout mon travail caduc. 
Je crois que je peux compter sur l’intelligence de ma famille, de mes amis, de mes collègues. C’est du moins le pari que je veux faire. C’est que je sais mon combat être juste, être vrai et que donc c’est la vérité que je défends ainsi pour eux. Pour moi. 
Mieux vaut dire la vérité lorsqu’on est un criminel. C’est la seule façon de se défaire de sa dette à l’égard des siens. 
Mes autres textes. Métaphores, etc. Obscurs. Du coup textes politiquement corrects, inoffensifs. Ici au contraire je m’engage politiquement dans mon combat et c’est pourquoi je prends des risques. Mais « on n’a rien sans rien » comme dit l’adage. Et je sais mon combat être juste. 
Ce que je donne à lire dans le Journal : Pas la vérité opposé au mensonge mais une vérité qui ment. Une vérité authentique. Je pense ici à l’écriture-confession de Luc Dietrich. 
Au-delà de la vérité et du mensonge, il y a la question du sujet. C’est par fidélité à moi-même que je veux publier ce texte. 
La distance entre moi et moi-même. Écrire sa vie sous la forme d’une performance littéraire. Pour vivre poétiquement. Capter cela. Éviter donc de faire de la littérature. 
La question de l’amour. J’ai choisi de tout dire, plus même, parce que j’ai choisi de m’aimer. Peut-être cette confession pourra-t-elle sauver des gens, les aider ? 
Je demande pardon à tous ceux que « j’insulte » dans ce texte. Je veux qu’ils sachent que c’est par amour de moi-même que je le fais et aucunement par haine, en vue donc de les salir. C’est moi-même que je cherche avant tout à détruire. C’est que pour moi, aimer, ça ne peut être que détruire. J’ai choisi de n’aimer aucune femme pour n ‘avoir pas à détruire une femme. Pour les protéger de moi-même. 
La vérité est du côté de l’Homme. L’authenticité est du côté de l’homme. J’abandonne ici ma rhétorique. Je triomphe donc de mon penchant à la métaphysique. 
F. F. m’a arrêté sur l’idée que dans mon Journal, il a de la vie. Ce qui traverse mon Journal : ce qu’on ne peut pas dire, l’inexprimable. 
Dali a écrit Journal d’un génie (extrême droite) et moi j’ai écrit Journal d’un criminel (extrême gauche). 
Tentative d’insertion sociale. J’essaye d’être comme eux, de trouver belle les femmes qu’ils trouvent belles, d’aimer les femmes qu’ils aiment, de dire du mal des gens dont ils disent du mal, etc. Mimétisme par « je parle les autres ». 
L’artiste doit-il nécessairement être un criminel de l’amour ? (voir Tonio Kröger de Thomas Mann). 
La structure squelettique est très difficilement réparable. C’est pourtant ce que tentent les psychanalystes. L’idiot : il est idiot parce qu’il n’a plus de squelette. Avec la psychanalyse je me suis doté d’une greffe de squelette ce qui me permet de persister dans la vie quotidienne. La structure politique de l’individu : son squelette. Sa structure théorique. Il est quasiment impossible de la modifier. C’est pourtant à cette tâche qu’on s’emploie dans l’analyse lacanienne. 
Mercredi 15 mai 2014 
Le « en fait » : Bergounioux m’a fait remarquer l’inutilité de ce trait oral. Il a barré tous les « en fait » sur les parties du Journal qu’il a relu. C’est pourquoi j’ai pensé à mettre en italique tous mes « en fait » (plutôt que de les supprimer). 
Ce Journal montre que ma vie est la fiction littéraire d’un personnage que je me joue à moi-même et aux autres. 
Il n’y a pas de rapport sexuel (Lacan) équivaut à il n’y a pas de poésie. La poésie est du côté de l’inexistence de la jouissance. La nécessité de la poésie, c’est la nécessité à se tenir à l’impossibilité de la jouissance. 
​​​​​​​Je ne me laisse plus écrire par la langue, j’écris avec le Journal contre le courant des mots. 
Dans le Journal il est question d’un criminel imaginaire et donc d’un fascisme imaginaire. Dans le même sens l’idiotphysique est une science imaginaire. Sa pratique est liée à une façon d’aimer, de vivre, imaginaire. 
Je réalise la jouissance du Grand Autre en contrariant ma jouissance. 
On peut lire le Journal comme un document sur une pathologie mais on peut aussi se dire qu’il y a dans cette description quelque chose qui résiste au pathologique : qu’il existe donc bien du poétique, du religieux et que donc tout n’est pas sociologisable, rationnalisable. Ceux qui pencheront pour cette analyse diront donc que je ne suis pas un criminel de l’amour mais bien un poète. La répression sexuelle actuelle dans notre société est une forme de répression poétique. C’est une véritable chasse aux sorcières qui a lieu dans le domaine amoureux. Il y a des choses que le sociologue ne peut pas saisir. Il ne les voit pas. Il dit : non, c’est que vous délirez. Moi je dis : il y a là un délire du sociologue à nier l’existence imaginaire de ce criminel de l’amour que je suis. C’est que le fou a lui aussi raison de s’obstiner dans sa folie. Au même titre que le sociologue ou le marxiste qui s’obstinent dans leurs délires du tout-sociologisable, du tout-rationnalisable. 
Oui, je persiste à croire que dans la folie, il n’y a pas seulement du pathologique et cela malgré tout ce que j’ai été amené à souffrir à cause de ma psychose. 
Lundi 9 juin 
La force du témoignage. La théorie du témoignage n’épuise pas cette force. Là est la vraie question du poétique, du religieux. Efficacité poétique de la métaphore. Bergounioux critique cette utilisation de la métaphore. 
J’écris en me déplaçant avec mon corps un discours mais la vérité du corps est autre que ce discours qu’on tient avec sa langue. 
On jouit avec son corps autrement qu’avec sa langue. Discourir avec son corps pour parvenir à jouir avec sa langue. Discourir avec sa langue pour ne pas souffrir de ne pas savoir jouir avec son corps. 
Rencontrer érotiquement une femme, ça peut être la même chose que discourir. On peut le fait par habitude, mécaniquement et sans la vérité. 
La vérité dans l’histoire elle est du côté de l’interdit que je me suis posé à moi-même de rencontrer érotiquement une femme. La vérité contre le fantasme. On est sauvé par l’interdit, pas par le fantasme. La question : est-ce que je veux réellement être sauvé par moi-même ? 
Le fantasme n’a jamais arrêté le discours, tout juste peut-il permettre de dévier légèrement la trajectoire du discours. Le fantasme : ce qui permet au corps du discours de respirer. Ne pas avoir de rapport érotique avec une femme, c’est un peu comme se résoudre au silence. Or on a un besoin vital à discourir. D’où la nécessité pour moi de rencontrer érotiquement des femmes de temps en temps. On peut mourir asphyxier de ne pas pouvoir tenir de discours. Rencontre érotiquement une femme pour ne pas m’endormir poétiquement. 
Il y a dans le Journal quelque chose de volontaire là où l’écriture dans mes textes précédant était passive. Ça s’écrivait. Là j’écris volontairement ce qui me fait dire : je suis désormais un auteur et non plus un simple personnage. 
Je mets à l’épreuve du réel le mythe de mon impossibilité. Et le mythe semble résister à cette épreuve. Non, ça n’est pas simplement du pathologique. Oui, il y a là quelque chose d’autre. Du religieux ? 
La foi me permet de résoudre le problème de la représentation et de la situation posé par Bergounioux dans La Cécité d’Homère. 
Créer, ça ne peut être qu’un acte de foi. Ou alors la magie de l’art ne peut s’opérer et il n’y a que de la matière morte. La foi et la mauvaise foi. Le matérialiste est de mauvaise foi au sens figuré et non figuré. Résoudre le problème de la mauvaise foi par la foi. La mauvaise foi est du côté du mensonge certain. La foi du côté d’une possible vérité. Je préfère donc faire le choix d’une possible vérité plutôt que celui d’un mensonge certain. La puissance de la métaphore n’est possible que par l’existence de la foi. Sans foi, il n’y a que mauvaise foi et on doit donc faire le choix du matérialisme. Le matérialiste pathologise la foi. Je fais avec mon Journal le pari de l’impossibilité de cette pathologisation. Je rêve de parvenir à le déstabiliser et ainsi à rendre le matérialiste présent à la réalité de la foi. 
La réalité de l’Idiot, c’est la réalité de la foi en l’Idiot. Je crois en l’Idiot, que je le veuille on non et cela fonde pour moi l’existence de l’Idiot comme la Certitude. 
Je ne veux pas rationaliser le mythe de l’Idiot parce que j’en suis incapable. C’est cette incapacité même qui fonde ma capacité à croire. Qui fonde donc ma foi et par la même l’existence de l’idiot. Je ne demande pas aux autres hommes de croire en L’Idiot. Je veux seulement qu’ils me sachent habité positivement d’une telle croyance et que donc ils m’acceptent tel en me ménageant pour cela sur le plan matériel de l’existence. Reconnaissance donc positive de mon handicap psychique à savoir que ma folie est aussi quelque chose de constructif, de créatif et donc pas seulement du pathologique, pas donc exclusivement un processus destructif. 
Mercredi 11 juin 
​​​​​​​La foi en l’idiot, c’est la foi en moi-même et cela est possible parce que je suis autre à moi-même. Foi donc en mon autre. Je vais là où il me mène, je suis son témoin, il est mon sauveur. 
Celui qui travaille à mettre au propre mon texte, c’est l’auteur et il n’est pas celui qui écrit car celui qui écrit c’est le personnage. L’auteur, c’est celui qui chevauche la monture et la monture, c’est le personnage. 
Je veux sauver la question de l’intériorité. Il y a des gens qui travaillent à nier l’existence de l’intériorité. (Voir Le mythe de l’intériorité de Bouveresse ? Je n’ai jamais réussi à lire ce livre, il n’y a que le titre qui me parle…). 
Poser la question de l’idiot pour réactualiser la question de l’être. Ce qu’on pose ainsi c’est la nécessité d’une métaphysique. Travailler à faire l’idiot pour travailler à être. C’est qu’il faut travailler la question de l’être à partir de l’existence. La travailler à l’aide de l’existence. 
C’est ma foi en l’idiot qui m’a permis de triompher de ma psychose. Si l’idiot existe, c’est parce que je crois en lui. Parce que donc je crois en moi en passant par mon autre. 
Le poète est nécessairement un homme de foi. Sans foi il n’y a pas d’art et la mauvaise foi donne de mauvais artiste et par là même du mauvais art. 
Ce n’est pas moi qui insulte S., P. et compagnie, c’est le personnage dont je suis l’auteur. C’est qu’en tant qu’auteur je ne me laisserais jamais à les insulter publiquement. 
Le devenir de notre société se caractérise par le devenir de moins en moins poétique de l’homme. Ce mouvement de déchéance signifie le mouvement de déclin dans lequel est engagé notre monde. 
Il faut lutter poétiquement contre ce devenir, freiner son mouvement, le ralentir en jouant à l’idiot. C’est là que l’artiste a un rôle politique à jouer. 
Toute lutte poétique en ce sens (et ainsi politique) prend le visage d’une tragédie idiote. Voir l’expression que Fondane utilise dans son livre sur Baudelaire L’expérience des gouffres : « idiotic tragedie ». J’imagine qu’on doit traduire ça par « tragédie singulière ». L’idiotie n’est-elle pas justement le lieu même du singulier ? 
Lundi 16 juin 
Seule la foi peut nous permettre de triompher de la mauvaise foi. Madame de la Critique de la Raison Pure : figure de la mauvaise foi. Et l’idiot : figure de la foi. L’idiot (habité par la foi) lutte contre Madame de la Critique de la Raison Pure (figure de la mauvaise foi). 
Guérir du personnage qu’on a à jouer en se faisant l’auteur de ce personnage. 
Mercredi 2 juillet 
Ma croyance à Madame de la Critique de la Raison Pure et à son fascisme, l’équivalant chez Artaud de sa croyance aux esprits ? 
Avec l’exposition Weiller, j’ai exposé la petite flamme de mon esprit et j’ai montré ainsi que j’avais réussi à résister au vent de l’idiotie. Avec mon Journal, je donne la même chose à voir : cette résistance, cette capacité à tenir debout et cela malgré la violence de l’expérience de l’idiotie. 
La poésie, elle est faite pour être écrite, pas pour être lue. 
Vendredi 15 août 
Cette performance consiste pour l’artiste que je suis à ne pas produire et à relater par écrit cette non-production, cette sorte de grève de la faim artistique pour engager avec le système de l’art contemporain un bras de fer. 
Je lutte contre la théorie. Je veux faire trébucher la théorie. 
Je suis un criminel parce que je cherche à tuer poétiquement le métaphysicien qu’on a voulu faire de moi. D’où la forme wittgensteinienne de ma poésie. 
Ma métaphysique de l’idiotie : une anti-métaphysique. Une parodie sérieuse de la métaphysique pour prouver son inanité. 
La quête permanente d’un sujet : le sujet que je me suis donné à traiter en écrivant le journal. Il y a flottement de mon identité. Je ne suis pas fixé. Bergounioux m’a dit : tu te refuses à devenir un adulte. (Étymologiquement à passer au stade final). Un artiste est toujours nécessairement ainsi un enfant attardé. Je n’ai pas fondé de famille, je ne m’investis pas dans mon travail, etc. 
Il y a une vitesse d’ensemble particulièrement lente dans mon Journal (vitesse d’écriture du texte) et cela explique qu’il donne à voir le monde avant que cette perception ne soit traitée par la pensée conceptualisante. J’échappe ainsi à la musique du théorique et du général. On a chacun une vitesse. Trouver sa vitesse propre pour être soi-même et devenir ainsi génial. 
Ce déphasage de la pensée ne correspond-t-il pas à ce qu’on nomme chez Shakespeare « la torsion du temps » ? Ce déphasage de la pensée auquel je suis soumis m’amène à me rendre visible à mon « je parle les autres ». 
Bergounioux m’a dit que dans le texte à certains moments j’avais 12 ans, à d’autres 36 ans, à d’autres 4 ans. À chacun de ces âges correspond une vitesse. Il y a ainsi une multitude de vitesse dans le Journal (j’accélère puis je ralentis puis de nouveau j’accélère, etc). Être un enfant, c’est être plus lent. L’artiste est celui qui doit nécessairement se donner le droit d’être un enfant pour parvenir à créer. 
Chaque vitesse rend visible un certain aspect du monde. Ainsi le monde rendu visible par le sociologue n’est pas le monde rendu visible par le poète car le sociologue et le poète n’opèrent pas à la même vitesse. La pensée du poète opère bien plus lentement que celle du sociologue. 
Ce déphasage de la pensée chez le fou: il est lié à une différence existant entre la vitesse de la langue et la vitesse du corps. 
Vendredi 24 octobre 
La poésie : un témoignage qui résiste à l’analyse sociologique. 
Je ne pense absolument pas à l’autre en écrivant le Journal. J’écris en pensant exclusivement à moi-même. Mes textes précédents étaient sous le signe de la tyrannie du pour autrui. Je voulais donner une certaine image de moi-même. Dans mon Journal je me tourne exclusivement vers moi-même, je m’adresse à moi-même et l’autre, le lecteur, se loge dans son absence. Le Journal est une mécanique à faire rentrer l’autre dans ma logique. Comme si on rentrait dans la tête du prince Mychkine. 
Fascisme participatif : fascisme identifié seulement par ceux qui y participent. Le fascisme de Madame de la Critique de la raison Pure. 
S’il n’y a plus de mensonge possible (bonheur par marxisme, sociologie), alors il n’y a plus de poésie possible. Nécessité du mensonge ? Nécessité de la poésie ? 
Mon travail à moi : ne pas rencontrer érotiquement les femmes. Mais j’en ai marre. Je veux rencontrer érotiquement une femme. Et c’est pourquoi je crie d’amour. Je crie par asphyxie. Bonheur par asphyxie. Oxygène, besoin d’oxygène. C’est pourquoi je me donne le droit de rencontrer érotiquement des femmes. Je veux vivre d’asphyxie. Je veux vivre de mourir. Je veux mourir de bonheur. 
Mon Journal : selon Bergounioux omniprésence de la question du pour autrui. 
Ce qui me pousse à m’enfoncer dans ma folie : la quête acharnée d’une impossible singularité. Ce que Aude m’a dit à propos d’Ehrenberg (La fatigue d’être soi) : c’est l’injonction de la société à être toujours plus nous-même, toujours plus en accord avec ce qui nous est propre, une personnalité singulière, qui fait que de plus en plus d’individus sont touchés par le phénomène de la dépression. Est-ce ma recherche de moi-même qui me rend donc ainsi dépressif ? 
Le Journal : une entreprise de rationalisation continue de l’affectivité à laquelle je suis soumis quotidiennement. 
Mardi 28 octobre 
Quelle est la nature de cette absence ? Je ne pense pas aux autres lorsque j’écris. Je ne pense pas au fait qu’ils pourront lire mon texte. Par contre ils sont présents dans mon texte. J’ai toujours été absent au monde. Jean de la Lune. Parler de cette absence, de la nature de cette absence, pour être malgré tout présent au monde et aux autres. 
Bergounioux n’est pas seulement un marxiste. C’est aussi un visuel. Il a un rapport au silence. Est-il en mesure d’écrire son silence comme je l’ai fait dans mon Journal ? J’en doute. C’est là sa faiblesse certainement. Une possible donc incapacité. 
Les autres, ceux qui lisent mon Journal, viennent se loger dans mon absence. Ils viennent lire là où je ne suis pas, dans l’absence qui me fait écrire. 
Derrida et compagnie. Moi je veux dire matériellement le silence. Je ne veux pas en parler littérairement. Je veux parler du silence en marxiste, en sociologue ou du moins pour des marxistes, pour des sociologues dans l’espoir d’être compris par eux. D’être lu par eux. Pour qu’ils prennent connaissance de la vérité, réalité du silence. De sa possible puissance créatrice. 
Je brise le silence de la littérature sur son propre silence. 
Il y a trop d’images, trop de films, trop de tableaux, trop de livres. Plus possible de créer. Il y a trop d’information. Cette richesse rend difficile l’acte créateur aujourd’hui. Peut-être a-t-on besoin d’une guerre qui vienne détruire toute cette richesse pour pouvoir repartir. 
Dans le Journal il y a une multitude d’Emmanuel. Chacun de ces Emmanuel a un point de vue et est lié à un groupe (famille, ami, étudiant, être désirant). Différents champs d’action et de pensée donc qui sont étanches (plus ou moins) les uns aux autres. Cela constitue un délire dans sa totalité. Du coup on voit que chaque personnage autre qui se présente à moi est comme délirant du fait qu’il n’a pas accès à la totalité que je suis. Ainsi Co., directeur des beaux arts, me présente comme un étudiant intéressant sans rien savoir du fait que je suis un mangeur de femmes et un handicapé. Je fait ainsi surface par Co. mais le lecteur, lui, sait tout ce qu’il y a sous le niveau de l’eau dont je viens d’émerger. 
Le criminel dans le Journal, est-ce que ça ne serait pas le lecteur ? Je le transforme en criminel ? Je le fais se reconnaître tel à ses propres yeux ? 
Je n’arrête pas dans mon Journal de rationaliser le cheval que je chevauche pour garder le contrôle de ma monture. 
Dimanche 9 novembre 
Y a-t-il vraiment une vérité du silence ? N’y a-t-il pas plutôt une fausseté du silence ? Ainsi je dis du mal de certaines personnes et je pense après que cela est injuste (N. par exemple). 
Mon intérêt pour le silence. Mon intérêt pour des auteurs comme Sade (Les crimes de l’amour), Calaferte (La mécanique des femmes), etc. 
Tous ces discours qui se sont développés sur ce silence. Des discours de puissants assis sur le silence des opprimés. Dire ce silence, c’est en ce sens se battre pour la voix de tous ces opprimés. 
Dans les prisons les délinquants sexuels sont les derniers dans la hiérarchie constituée par les prisonniers eux-mêmes. Les plus opprimés ? 
Vivre, c’est écrire une fiction qui est la réalité. Le créateur invente ainsi la réalité. C’est cela même qui est être poète. Tout le travail du poète est dans sa façon de vivre. Dans sa manière d’écrire sa vie. 
Mon style poétique à moi, c’est ma vie. J’ai ainsi résolu le problème posé par Bergounioux dans La cécité d’Homère. Le drame de la séparation entre la représentation et la situation. 
Mon Journal : l’écriture tragique du pour-autrui pour tenter d’exister malgré tout en pour-soi. 
Témoigner de façon réelle d’une façon imaginaire de vivre. Je ne prétends pas dire ma vérité par ce personnage mais bien plutôt dire sa vérité à lui qui n’est pas la mienne. 
L’accusation de Madame de la Critique de la raison Pure. Vous avez triché ! Oui, j’ai joué des tours de magie et je vais ainsi me confesser en vous en donnant la solution. Suis-je pour autant un pervers ? 
On a tous des pensées animales. Des pensées criminelles. Partager cette expérience, la rendre visible, telle est le but de cette sorte de mise à nu. Pas la vérité parce que la vérité est une mais le mensonge. Mettre à nu le mensonge qui nous constitue individu, pour-autrui, et pour tenter de redéfinir pour soi la vérité du pour-soi. 
Je suis structuré par un mensonge de moi-même aux autres. C’est ce mensonge que je veux dévoiler aux autres en me mettant ainsi à nu dans ce journal. Ce mensonge me constitue moralement criminel. D’où le titre du journal. Ces pensées qui constituent mon silence, devrais-je les laisser dans l’obscurité ? Les garder pour moi secrètement ? Ce n’est pas moi qui profère ces insultes. C’est le personnage dont je suis l’auteur. Et je veux partir en guerre contre ce personnage en le rendant visible à tous. Pour le démasquer aux yeux du monde. Ça n’est pas de ma faute. C’est lui le coupable. C’est le personnage le criminel, pas moi. Moi, je ne suis que l’auteur du personnage. 
Le dernier film de Woody Allen. Croire le corps de la femme possible. La même chose que croire aux esprits. Il faut pour cela cesser d’être matérialiste. Ça n’est pas si sûr que cela que les matérialistes aient raison. 
Avec le journal je rends possible l’homme privé que je suis. L’idiot (idiotès en grec, l’homme privé opposé à l’homme public, citoyen de la cité). On a mis en danger l’homme privé que je suis à moi-même (Madame de la Critique de la Raison Pure). D’où un besoin de le soigner en le rendant visible (possible aux autres ?). 
Ça n’est pas une histoire vraie. C’est une fiction. C’est de la littérature. Voilà ce que je voudrais dire pour me disculper aux yeux de ma famille, de mes amis, de mes relations en général. C’est pourtant un journal, me diriez-vous ? Oui, répondrais-je, mais le journal d’un personnage que je ne suis pas. Je prétends en effet être l’auteur de ce personnage. Sa vie n’est donc qu’une fiction inventée par moi et non ma vraie vie. Sa vie, ses pensées, etc. 
J’ai écrit avec ma vie la vie de ce personnage. J’ai inventé avec ma vie cette fiction. Je ne veux donc être jugé que sur mon style. Que sur ma façon de vivre. Artaud. Je veux être le témoin de moi-même. Avec ce journal, est-ce que je ne témoigne pas ainsi de moi-même ? De la relation que j’entretiens avec moi-même ? 
Ce journal. Je l’ai écrit pour Bergounioux. Il l’a lu. La chose la plus importante qui pouvait arriver au journal. Il est le Lecteur. 
Dada. Ne suis-je pas dadaïste ? 
Mon journal. Impuissance à être un vrai criminel ? Ou au contraire capacité à n’en être pas un vrai, capacité donc à échapper à un triste sort ? 
L’homme privé, l’idiot, est-il nécessairement un criminel de l’amour ? 
Il faut faire taire l’idiot. Le rôle de l’idiot, c’est ainsi de se taire. En se taisant, il se fait le gardien du silence. L’idiot qui se laisse aller à dire ce silence dont il est le gardien, qui donc cesse de se taire, devient un criminel. C’est au nom de l’amour qu’il prend ainsi la parole sur la cité. Qu’il cesse d’être un simple homme privé pour devenir un citoyen. De là la naissance de la discorde au sein du groupe autour de l’idiot. Tant que l’idiot se tait, tout le monde s’entend sur son sort qui est de se taire. Tous les citoyens participe de cet idiot qui se tait. Il est le trait d’union entre tous les citoyens de la cité. Tous sont liés par un même silence, celui de leur idiot. 
Le poète : celui qui brise le silence de l’idiotie sur lequel repose l’ordre de la cité. J’ai voulu sauver mon silence et pour cela j’ai sacrifié le citoyen à l’idiot qui le soutenait. 
Le je parle les autres : le squelette de la vérité du groupe. 
La poésie : rendre compte de ces pensées animales, de ces pensées criminelles, que nous avons tous et qui nous encombrent plus ou moins. Elles sont invivables pour certains, pour d’autres elles ne les gênent absolument pas. C’est tout juste s’ils en ont conscience. 
La pratique secrète de l’onanisme suffit-elle à expliquer le mystère de l’art, de la création ? L’ontologie du secret, du silence, n’est-elle jamais qu’une ontologie de l’impossible d’un corps de femme ? La puissance créatrice est-elle toujours proportionnelle à la puissance sexuelle ? À la déviance sexuelle ? L’artiste est-il donc toujours nécessairement un criminel de l’amour ? 
Le fait que mon Journal soit impubliable en l’état (sans changer les noms). Ce que cela dit sur la nature du silence qui nous habite tous. 
Est-ce que ça existe la foi ? N’y a-t-il jamais eu que de la mauvaise foi ? Si foi il y a, alors Dieu existe. La vraie foi, si elle existait, serait la preuve de l’existence de Dieu. Exemple de mauvaise foi. Enseigner Baudelaire au lycée ou en classe préparatoire. Ces gens qui parlent professoralement de Baudelaire. Les mêmes qui auraient fait mettre sous tutelle Baudelaire. 
Mercredi 12 novembre 
Mon Journal : ça n’est pas une confession. 
Question de la réhabilitation. La réhabilitation (de moi, après ma rencontre avec Madame de la Critique de la Raison Pure) passe par cette mise à nue. 
Je joue souvent le rôle d’un confident. Il ne s’agit pas avec ce journal de tirer profit de ces confidences en les livrant. Le confident doit être un personnage doté d’une éthique forte. L’idiotphysique est pour moi cette éthique. 
Dire son homme privé. Ça ne se fait pas. Il faut rester un pour-autrui. C’est cela seul qui est valorisant. Celui qui livre son homme privé risque d’être livré à la vindicte populaire. 
Ça n’est pas une confession. Il ne s’agit pas de dire ce que je pense. Il s’agit de décrire ce qui traverse l’esprit de mon homme privé, de décrire ce qui l’habite. 
La religion, la poésie, concerne l’homme privé. L’Idiot : le Dieu des hommes privés ? La révolte des hommes privés. Combat pour leur libération du joug des citoyens ? 
Journal d’un criminel : le meurtre par l’homme privé du citoyen (devenir fou) ? Ou le meurtre par le citoyen de l’homme privé (la socialisation) ? Se maintenir entre les deux. Se maintenir sur une lame de rasoir. 
L’idiotphysique, la science de l’homme privé c’est-à-dire la science écrite par l’homme privé ? 
Samedi 22 novembre 
Etre poète c’est se faire criminel en dévoilant le secret de l’homme privé. Le citoyen repose sur son silence. Rompre le secret de l’homme privé c’est donc mettre ainsi en danger l’équilibre sur lequel repose le citoyen. 
Le fascisme que je dénonce dans mon journal. Le fascisme de l’homme privé. C’est un fascisme qui repose sur le silence de l’homme privé. Celui qui remet en cause ce silence remet en cause ce fascisme et ainsi l’équilibre du citoyen. 
Le pouvoir du citoyen repose sur la domestication de son homme privé. Une forme d’esclavage ? 
Voulant me confesser, je dis mon homme privé. Impossibilité pour moi de me confesser. Dire mon homme privé, c’est contourner le problème de la confession involontairement. Je suis un criminel incapable de se confesser. Cette incapacité est de nature et non de culture. C’est animalement que je ne peux pas me confesser. Comme il est impossible à un chat d’apprendre à parler. C’est peut-être qu’il n’y a pas de vérité en moi ? 
Je ne peux pas dire la vérité. C’est animalement que je ne peux pas la dire. En parlant je sens la vérité. Je la sens animalement en moi. Je ne doute donc pas de son existence. Il y a de la vérité mais il y a aussi une impossibilité pour moi à la dire. C’est la même impossibilité que celle qui fait que je suis incapable d’être quelqu’un d’autre, que je suis condamné à être moi-même. Alors je ne peux que serrer au vent de l’idiotie pour tenter de jouer la vérité de façon fictionnelle avec ma vie. De la faire donc exister malgré tout en l’écrivant avec ma vie. Et ainsi de la dire. Oui, au final, peut-être que je parviens bien à la dire ainsi. Malgré moi. Il faut faire mentir la vérité pour parvenir à la faire surgir. L’idiotie n’est-elle pas le lieu du mensonge de la vérité ? 
L’argument de l’homme privé n’est-il pas le meilleur argument qu’on peut avancer contre l’idéal d’une société marxiste ? 
J’ai créé un personnage avec mes premiers textes. Il ne me restait plus qu’à écrire une histoire, l’histoire de ce personnage. C’est ce que j’ai fait en écrivant le journal d’un criminel. Écrire c’est pour moi la même chose que respecter la loi de l’impossible d’un corps de femme. C’est cette loi qui me fait écrire, qui soutient mon écriture. Le pari que je dis avoir gagné à la fin de mon journal : le fait d’avoir tenu mon pari d’écriture ou le fait d’avoir tenu le pari de la loi de l’impossible d’un corps de femme ? Ces deux paris ne font-ils pas un seul et même pari ? Un pari idiot ? 
Je suis un individualiste. Peu m’importe le groupe, les autres citoyens. Mon désir est roi et je joue avec ce roi. C’est en cela que je pense être un criminel aux yeux des autres citoyens. Penser est pour moi une besogne privée. Penser publiquement, en citoyen, m’ennuie profondément. 
La violence fasciste que je dénonce : la violence faite à l’homme privé, pas au citoyen. Le fascisme historique (nazisme, etc) concerne le citoyen. Le fascisme participatif concerne l’homme privé. 
Le je parle les autres : la parole de l’homme privé. L’idiotphysique : la science du langage de l’homme privé. 
Vendredi 5 décembre 
Mon je parle les autres : une broyeuse de chocolat (élément du Grand Verre de Duchamp) ? 
Le fascisme historique : un fascisme du groupe. Le fascisme participatif : un fascisme de l’individu. 
Mon je parle les autres : une machine à broyer la pensée pour la rendre « délicieuse » ou plutôt poétique. Par mon je parle les autres j’arrive à obtenir des pensées animales. Si je ne faisais pas de fautes d’orthographe, ma pensée ne serait pas ainsi broyable par le je parle les autres et je ne pourrais donc pas obtenir des pensées animales. Les pensées animales peuvent passer à travers le filtre d’une langue pleine de fautes d’orthographe. Les fautes d’orthographe sont comme de petits trous qui constituent la langue en un filtre. 
Broyeuse du je parle les autres. Le je parle les autres est une machine à broyer l’existence pour donner des pensées animales. Les pensées animales : les pensées du visuel. Des pensées orales, des pensées poétiques. 
Je veux défendre mon Journal comme une oeuvre plastique. Duchamp a bien fait d’un bidet une oeuvre d’art en créant les ready-mades. 
La performance littéraire comme objet plastique : le monde de l’art est un système pour broyer l’art et les artistes. J’ai réussi à m’en extirper à temps sauvant ainsi poétiquement ma peau. Je me suis exilé. Mon journal parle de ce combat contre le monde de l’art parisien. 
Un idiot en liberté : un artiste qui résiste poétiquement à la broyeuse du monde de l’art et qui ainsi parvient à sauver poétiquement sa vérité. L’idiotie a été pour moi la stratégie de combat que j’ai suivi pour sauver ma liberté de créateur. 
Le je parle les autres : une machine à broyer du pour autrui pour produire du pour soi. 
Le fascisme participatif concerne l’homme privé. Il se joue au niveau de notre intimité. Pas de rapport direct avec la citoyenneté. 
Le fascisme politique (celui qui a lieu dans le réel) est une synthèse entre le fascisme historique (celui qui a lieu dans le symbolique) et le fascisme participatif (celui qui a lieu dans l’imaginaire) On parlera ainsi d’un fascisme réel issu de la synthèse entre un fascisme symbolique et un fascisme imaginaire. Journal d’un criminel : comment ces trois fascismes s’imbriquent les uns dans les autres. 
Parler de l’idiotie du citoyen : parler de son homme privé. Je suis le seul à être en mesure de parler « véritablement » de mon idiotie (et non normativement comme le ferait une certaine psychiatrie). Ce sujet m’appartient exclusivement. 
La notion de contrat : le contrat implique un non-dit, un silence. Il y a des choses qu’on ne remet pas en cause d’un commun accord. On s’accorde sur la nécessité d’un mensonge. Avec mon journal j’ai dénoncé ce mensonge et ainsi remis en cause le contrat qui me lie au groupe. 
Il y a un contrat d’entre-aide social, de non-agression qui me lie à ma famille, à mes amis, à mes collègues, aux inconnus, etc. J’ai rompu ce contrat social, basculant du même coup dans le silence, dans l’idiotie. Avoir rompu ce contrat fait de moi un criminel aux yeux des autres. 
L’intérêt du journal n’est-il pas de rendre visible ce contrat ? Pour dénoncer la violence que génère ce contrat. Une violence orale qui est acceptée, qui n’est pas remise en cause. Cette violence, on me l’a fait subir et je l’ai vécue insoutenable et c’est cela qui m’a amené à prendre la décision de rompre le contrat (décision d’abord inconsciente puis rendue progressivement consciente par le travail analytique). Je n’avais pas le choix. Soit tuer ou me tuer, soit dénoncer le contrat qui faisait de moi un meurtrier ou un suicidé, ne me laissant aucune autre option. Voilà la place qui me revenait. Du coup j’ai rompu le contrat en me faisant criminel oral et en rendant visible cette criminalité orale. J’ai en effet avec mon journal écrit ma criminalité orale. Le contrat repose sur un silence commun autour de notre intimité. Dire son intimité, la rendre publique, c’est rompre ce contrat. Être poète, n’est-ce pas cela même, dire le silence sur lequel repose le pouvoir poétique ? 
Un contrat d’amour passé avec soi-même, n’est-ce pas là mon contrat poétique ? Le contrat poétique permet de rendre visible le silence sur lequel repose l’homme privé et ainsi de s’en prendre au fascisme participatif et historique. Le contrat poétique : un contrat qu’on passe avec soi-même en respectant la loi de l’impossible d’un corps de femme et pour dire le silence de son homme privé. 
Mon journal : une fiction ou une non-fiction ? 
Rôle de la poésie : lever le voile qui recouvre le monde pour le rendre visible. Ma poésie lève le voile qui recouvre la poésie pour la rendre visible. Elle se rend ainsi visible à elle-même. Cela est possible parce que je choisis de porter mon amour vers moi-même. 
Il y a une violence nécessaire au maintien en vie du groupe. Une violence nécessaire entre les individus. Les idiots sont les victimes nécessaires de cette violence. Si l’on veut perdurer au sein du groupe il faut accepter de faire sienne cette violence et de la pratiquer. Il faut aussi accepter le fait d’en être potentiellement la victime. 
Mon journal ne montre-t-il pas qu’il faut à tout prix ne pas rompre le contrat et que dans le cas où on le rompt on s’expose aux pires ennuis ? À une déchéance sociale programmée. J’ai rompu le contrat parce que le niveau de souffrance lié au fascisme participatif dont j’ai été l’objet était devenu insupportable. 
Lundi 8 décembre 
Les « en fait » seraient les signes du balancement entre le discours du personnage et le discours de l’auteur. Ce n’est pas moi qui dit « en fait ». C’est l’auteur qui fait dire « en fait » à son personnage. « L’auteur a décidé de mettre en italique tous les « en fait » non nécessaires de son personnage ». Les « en fait » en italique permettront de rendre le personnage plus plausible, plus réel. 
J’oublie souvent que je suis un personnage. L’écriture me rappelle que je suis un auteur en me rappelant la distance qu’il y a entre moi et moi et qui est la distance qu’il y a entre le personnage que je joue et l’auteur que je suis. L’être est du côté de l’auteur (le pour-soi) et le paraître est du côté du personnage (le pour-autrui). Le « en fait » en italique rend visible le lien d’écriture entre le personnage et son auteur. Je bascule parfois tout entier dans le discours du personnage. C’est cela être fou, rêver. Je perds parfois le fil qui me relie à mon auteur (lorsque je suis un personnage). L’écriture du journal montre que ce fil n’a jamais été définitivement rompu. 
Mercredi 11 février 
Plus tu seras sur la lame du rasoir, plus tu te couperas en deux. N’être ni Roger Gilbert-Lecomte, ni son père mais être entre les deux, c’est-à-dire du côté de la raison. 
Je pense à un poème de Baudelaire qui parle d’un haut dignitaire de l’Église qui fait des discours de plus en plus brillants sur Dieu jusqu’au jour où il se prend pour Dieu et alors c’est la chute. Il descend alors tout en bas. Ne fait plus la différence entre les saisons. Il n’est plus qu’un idiot. Les enfants-mêmes se moquent de lui et lui jettent des pierres. Je pourrais mettre ce poème de Baudelaire en exergue à mon texte. 
Je pourrais aussi choisir un texte de Francis Giauque pour le mettre en exergue au journal. Giauque n’arrive que rarement à échapper à la malédiction du chant poétique. Ainsi dans son journal il chante alors qu’il voudrait crier, hurler, construire et c’est pourquoi son journal d’enfer manque son objectif, échoue. 
La poésie : lever le voile qui recouvre l’intimité ? Cesser de parler de l’intimité de façon métaphorique ? Peut-on porter plainte contre le réel ? 
Lundi 16 février 
J’ai discouru avec le plus d’authenticité possible avec Madame D.. Ce discours est un travail et c’est ce travail que je cherche à rendre visible dans mon Journal. Lorsque j’ai été hospitalisé à la clinique de L. (je devais avoir 22ans), je me souviens avoir regardé sans aucune compassion, sans aucune compréhension un jeune schizophrène, « un joueur de guitare électrique fumant des joints ». Je me souviens dans le même temps avoir eu le sentiment que les gens de l’hôpital ne me comprenaient pas. J’étais en attente moi-même d’une compréhension mais je n’accordais pas ce droit à ce jeune malade. Le journal, je l’ai écrit pour qu’on me comprenne mais aussi pour qu’on le comprenne. Je crois qu’aujourd’hui je serais plus en mesure de satisfaire la demande de compréhension de cet autre idiot si je le rencontrais à nouveau. 
Dans mon Journal je donne à voir ce travail souterrain : le travail du silence qui rend possible l’idiotie comme puissance poétique. A-t-on le droit de rendre ainsi visible le travail de l’idiot, ce travail silencieux ? N’est-on pas en droit de le rendre audible ? N’y a t-il pas ainsi une raison éthique au fait de sauver ce travail et cela pour sauver le silence, pour le maintenir dans l’impensable ? La raison s’appuie sur cet impensable, sur ce quelque chose qui lui résiste. Sans cette chose qui lui résiste elle risquerait de triompher sur le silence, sur l’impensable et ainsi de détruire l’homme (l’homme singulier pour l’opposer à l’individu sociologisable). Le poète idiot combat tragiquement contre un tel possible. 
Je suis deux. Dans mon journal je me montre ainsi deux. Il y a ainsi une double lecture de mon idiotie : l’idiotie comme projet de vie, comme tentative de se socialiser et l’idiotie comme projet artistique, comme engagement poétique, comme libertinage. 
Rapporter ainsi par écrit les confidences intimes des autres, n’est-ce pas être justement un criminel de l’amour ? 
Le principe du journal : écrire en notant tout, ne rien oublier. Pour cette raison il n’est pas envisageable de censurer des passages. Ne pas laisser de blanc, ne rien oublier en racontant l’histoire. Le mouvement d’écriture : le fil d’Ariane. Tout noter pour que le lecteur puisse retrouver mon ou son chemin et ainsi retrouver mon ou son réel. ​​​​​​​Je donne à voir mon oubli avec le journal et ainsi l’envers de mon oubli, ce qu’il rend possible. 
Avec ces notes, cette autre sorte de journal, je suis passé à une autre vitesse d’écriture. À cette autre vitesse d’écriture correspond aussi une autre vitesse affective, un autre rythme au niveau de ma sexualité. 
Samedi 28 février 
Hier j’ai mangé à midi avec C.. On a notamment parlé du démon de Socrate. C. finit actuellement sa thèse et il m’a confié avoir un rapport à une sorte de démon. Le traité : la science du démon ? L’idiot n’est-il pas mon démon ? 
Vendredi 22 mai 
Refrain des chansons Jolie bouteille, sacrée bouteille et Buvons encore, une dernière fois, à l’amitié, l’amour, la joie en exergue au journal ? 
Il y a trop d’information sur cette planète. Relire en ce sens Asphyxiante culture de Dubuffet. 
Je cultive la non-lecture. 
Le journal d’un criminel : le journal de Dieu. C’est l’idiot c’est-à-dire Dieu qui s’avoue criminel aux hommes. 
Nécessité de cultiver la non-lecture pour parvenir à recevoir son existence et ainsi à l’écrire. 
Il y a les livres mais il y a aussi et surtout le livre de son existence à lire d’où la nécessité pour le poète qui veut chanter la vie de cultiver la non-lecture. C’est pour pouvoir mieux chanter la vie que le poète fait le choix de l’idiotie en renonçant à une certaine intelligence. La non-lecture permet la non-littérature, elle permet donc bien de résoudre le problème de la cécité d’Homère. C’est pour mieux voir que je cultive une certaine non-lecture. 
Parallèle entre la non-lecture et le non-rapport sexuel. Théorie de mon désir et théorie de mon rapport aux livres. Chaque livre est comme une femme. Je ne cesse pas de tomber amoureux des livres mais je me contente la plupart du temps de les peser. Je me décide très rarement à découvrir leur corps. Ma réussite serait de m’interdire définitivement à tout livre. Cela fonde mon souci d’écrire le réel en me protégeant par le je parle les autres d’un rapport trop fortement livresque au monde. La non-lecture comme conséquence de cette décision d’écrire mieux le réel. 
Travailler à la non-lecture comme on travaille au non-rapport avec les femmes. Un mangeur de livre : celui qui se contente d’acheter des livres pour les peser ? 
Mettre en exergue au journal la phrase de Rigaut : « On n’a que son désir à soi ». 
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