Extraits
7.      POURQUOI ÊTRE POÈTE, C'EST AVANT TOUT ÊTRE UN MANGEUR DE FEMMES.

Se sexualiser, c'est accéder à son propre corps. C'est prendre toute la mesure de son corps. En prendre la mesure pour se mesurer au corps de la femme. Et devenir ainsi homme.
Se sexualiser, c'est tenter de parvenir à s'extraire du corps de celle par qui ont a été amené à être. La sexualisation est bien en ce sens une renaissance. On s'accouche. On joue son corps autre pour accoucher d'un autre corps.
Jusqu'à l'âge de vingt ans, c'est-à-dire jusqu'à ce que je sois amené à me sexualiser, j'ai cultivé la femme comme quelque chose d'interdit. Comme quelque chose qu'il me fallait à tout prix éviter.
Jusqu'au jour donc où j'ai saisi que j'étais moi aussi, au même titre que les autres, capable de me faire enfanter par une femme, c'est-à-dire capable de faire naître en elle le désir de s'évader à mes côtés.
Et j'ai alors mis en marche la machinerie de mes désirs en me lançant dans de véritables entreprises de conquête.
C'est ainsi que la femme est devenue pour moi un espace de liberté : l'espace même de l'idiotie.
Dès lors, plus rien d'autre ne m'intéressa. Mon credo était donc désormais : vouer mon existence au mystère du corps de la femme.
Explorer ce mystère avec les armes de la création.


Ce que je cherche, c'est un corps de femme, c'est-à-dire un corps véritablement corps.
Ce corps, il n'existe pas. On ne trouve jamais que des images de ce corps, plus ou moins correctes, plus ou moins justes.
C'est pourquoi aucune femme n'est encore jamais parvenue à me faire dire : je t'aime.
Aucune.
Si, Éraina peut-être.
Éraina est en effet celle qui est venue me délivrer du sommeil dans lequel m'avait plongé celle par qui j'ai été amené à être.
Et c'est ainsi que je me suis sexualisé.


Il est mal de vivre le corps de la femme comme un corps possible.
C'est pourquoi je m'adonne au corps de la femme. Je m'y adonne pour faire l'expérience du mal et ainsi accéder à moi-même.
Faut-il oui ou non tenter de s'extraire de l'emprise sur soi du corps de la femme en travaillant à exorciser ce corps ?
Oui, il me semble.
Et c'est pourquoi ce texte s'est imposé à moi. Écrire les mémoires d'un mangeur de femmes, ce n'est rien d'autre pour moi que tenter d'engager une lutte avec la femme.
Pour la vaincre.
Pour qu'elle finisse par se donner à moi.
Et qu'ainsi je puisse vivre en paix. Libre enfin. Libre parce qu'étant enfin parvenu à trancher le nœud gordien qu'est pour moi le corps de la femme.


Rechercher de façon méthodique le corps de la femme pour parvenir à l'étudier. Et en faire ainsi quelque chose de possible. Quelque chose d'accessible. Quelque chose donc qui ne me ferait plus vivre dans la peur de mon propre corps.
C'est par la parole et par la parole seulement que je parviendrai à vaincre le corps de la femme. À faire que cesse la puissance qu'il exerce sur mon propre corps. Pour que je puisse enfin m'adonner à mon propre corps.
Car le corps de la femme est pour moi, aujourd'hui encore, quelque chose qui m'impossibilise. Quelque chose qui m'interdit à moi-même. Quelque chose qui fait que je ne suis plus en mesure de faire face aux exigences de mon existence.
Analyser ses dérèglements, non pas pour s'en guérir mais pour en faire quelque chose de positif. Quelque chose donc de possible. De valable.
Tel est pour moi le rôle du poète.
C'est pour cela que le poète doit d'abord travailler à se faire idiot. Car ce n'est qu'ainsi qu'il pourra se distancier de lui-même, se scinder en deux et ainsi devenir capable de dire ce qui l'habite, ces anormalités qui font de lui quelque chose d'impossible.


Analyser sa propre folie. Pour parvenir à se jouer d'elle. Et ainsi en triompher.
Être fou, c'est pour moi d'abord vivre le corps de la femme comme quelque chose d'impossible. Car c'est cette impossibilité même qui me foutise.
Dès qu'on est en mesure d'analyser sa propre folie, on devient capable de s'en extraire. De vaincre ce qui nous empêche à nous-même. Ce qui fait de nous des incapables d'exister.
J'ai longtemps baigné dans un univers de croyance où le corps de la femme était considéré comme quelque chose de dangereux. De néfaste.
On m'a donc appris à tout faire pour avoir le moins de commerce possible avec. Vivre la femme comme quelque chose d'interdit et ce, pour parvenir à se construire véritablement, je veux dire se construire socialement.
Le poète, c'est donc pour moi celui qui travaille à s'extraire de cet univers de croyance que nous nommerons l'univers de croyance du Père. Il travaille à s'en extraire en exerçant sur lui un dérèglement méthodique des sens.
On n'est jamais poète que par le corps de femme qui nous habite. Que parce que le corps de la femme est pour nous quelque chose de problématique.
C'est pourquoi je me suis lancé dans une vaste entreprise de dénormalisation de tout mon être.
Mener une vie dissipée, fréquenter des prostituées, dilapider la fortune de sa famille, boire, se droguer, déchoir socialement en refusant toute forme d'intégration sociale.
Tout cela pour parvenir à se rejoindre, je veux dire parvenir à accéder à soi-même.
Car on est jamais qu'à l'autre bout du mal.
Le mal, c'est ce qui doit nous sauver.
Le mal est donc bien une nécessité poétique. Quelque chose qui nous élève.


Se brûler, telle est la mission du poète.
Se brûler pour accéder à soi et ainsi basculer heureusement du côté de ceux qui sont en mesure de se savoir.
Comprendre, c'est se défoutiser. On n'aspire jamais à comprendre que parce qu'on aspire à vivre. Et véritablement.
Ceux qui se risquent à s'engager dans ce processus de compréhension animale par un exercice méthodique de leurs facultés animales, ils le font toujours en prenant le risque d'être par les autres crucifié sur le Golgotha Kantien.
On ne peut en effet jamais s'engager dans ce processus d'animalisation qu'en se désocialisant c'est-à-dire en prenant le risque de la maladie mentale.
La maladie mentale, elle est donc bien pour le poète une arme de compréhension animale.
Il y a en ce sens bien une nécessité de cette maladie. Une nécessité en quelque sorte sociale. Sociale parce que pouvant rendre possible une analyse animalement sociale de l'univers de croyance du Père. Et donc une remise en question de cet univers à des fins de thérapeutique animale.
Pour que surgisse un possible autre univers de croyance. Celui du Poète. Celui donc de l'homme enfin capable de lui-même.



11.    UN NOUVEAU VISAGE

Défiguré ?
J'ai aujourd'hui un tout autre visage.
Le visage d'un homme qui respire le vice.
Un visage chargé du sang de toutes mes victimes.
Il ne reste donc plus grand-chose de mon corps d'enfant sage, d'enfant respirant la mesure et la maîtrise de soi.
Certains me diront que j'ai maintenant pris la forme d'un monstre. D'un ogre capable des plus hautes saletés.
Mais ce corps, moi, je le pense bien plutôt être devenu celui d'un poète, autrement dit un corps qui est maintenant mon véritable corps.
C'est que le visage d'enfant sage que pendant longtemps j'ai porté n'était qu'un masque. N'était peut-être que le plus ignominieux de mes mensonges.
Oui, ce que respire mon corps aujourd'hui, c'est tout simplement la vérité que je suis.
Devenant ce corps, je suis devenu moi-même. Et c'est pour que ce corps me sauve. C'est qu'il m'aide à affirmer ma véritable identité et ce en me secondant dans la nuit de tous mes errements de poète vicieux.
Suis-je devenu laid ?
Bien au contraire ! Car le visage que j'ai aujourd'hui revêtu, il est mon visage véritable : le visage d'un ange déchu. Et un poète, ça n'est jamais qu'un ange déchu.
Je me sens donc bien plus beau aujourd'hui. Parce que plus à l'aise dans mon corps. Parce que ne cherchant plus à me cacher aux autres. C'est que tous peuvent aujourd'hui lire sur mon corps ce que je suis : un mangeur de femmes.
Et cela ne fait que m'aider à me conforter dans ma vocation : par
mon corps, je me dis donc bien aujourd'hui mangeur de femmes. Et c'est tant mieux parce que cela m'aide à l'authenticité de mes paroles.

        
Et si Paul maintenant vous avouait qu'il ne s'appelle pas Paul mais que Paul est le nom d'un prêtre qui s'est trouvé être le père de son père et qui donc fut pour lui une sorte de grand-père, auriez-vous l'impression d'avoir été trompé ?
Back to Top