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Jeudi 30 mars

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Je dévisage de plus en plus les jolies femmes dans la rue en cherchant à attirer leur attention sur moi. Je rêve ainsi de faire des rencontres, mais ça ne m’est encore jamais arrivé de cette façon.

Mettre du réel en bouteille pour le faire vieillir.

Je cherche à mettre oralement du réel en bouteille pour écrire ce réel.

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Mardi 4 avril

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Avec mon travail d’écriture, je me fais spécialiste de moi-même par anticipation. Il y a quelque chose de particulier à saisir ici.

Je veux partir à la recherche des origines et de l’histoire du discours métaphysique.

Le personnage que je construis poétiquement correspond exactement au type de personnage que mon père ne peut pas supporter. Est-ce le fruit d’un hasard ou ai-je volontairement cherché un tel personnage pour déplaire à mon père ?

Je veux qu’en lisant mes textes, on m’entende parler ; on m’entende penser ?

Je veux aller jusqu’au bout du soleil.

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Jeudi 13 avril

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J’ai nommé ce texte le Journal du recommencement. Il me semble en effet que je ne cesse de recommencer ma vie, que je suis incapable de faire dévier ma trajectoire. Que la seule chose que j’arrive à faire poétiquement, c’est d’enregistrer ce continuel recommencement auquel je suis soumis.

Les livres de Luc Dietrich : la confession d’un homme. Le religieux nous enseigne les bienfaits de la confession. C’est là toute ma force poétique : travailler à me mettre à nu, travailler à être le témoin de moi-même, pour reprendre l’expression d’Artaud. Je fréquente de plus en plus la vulgarité, mais je ne cède pas tout à fait car je poursuis mon entreprise de confession. Je dis absolument tout et je veux croire qu’ainsi, je donne un sens à ma mauvaise vie. Recommencer, c’est ici pour moi ne jamais abandonner cette entreprise de confession, ce combat pour ma vérité. Et je parviens ainsi à recommencer ma vie, à la réécrire.

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Jeudi 4 mai

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J’ai été castré. Il s’agit d’une castration religieuse que j’ai transformée en castration poétique. Pour cette raison, je ne peux pas espérer vivre en couple, avoir une petite amie. À moins de renoncer à mon destin de poète et cela est hors de question. C’est pour ça que le fait de surfer sur Adopte un mec provoque en moi du stress et de la fatigue psychologique. Je vais contre ma personnalité et cela m’use mentalement. L. m’a parlé dimanche de sa chatte. Il m’a dit qu’ils ont dû la faire stériliser. La chatte a ensuite cherché à enlever son pansement et la plaie s’est ainsi infectée. Ils ont dû alors lui mettre quelque chose autour du cou pour l’empêcher de se gratter. Cela a rendu leur chatte très malheureuse. Il s’agit là d’une très grande violence, mais cette violence était nécessaire. J’ai pensé à mes parents et qu’eux aussi ont peut-être dû me faire violence en me castrant. Peut-être que cette castration était elle aussi nécessaire. Est-ce vraiment pour mon bien que j’ai dû être castré ?

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Mardi 9 mai

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Les ruines de l’idiotie : les ruines du romantisme ?

Le plaisir de l’attente, du peut-être opposé au bonheur de la certitude.

Le plaisir est animal, le bonheur est humain.

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Jeudi 11 mai

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Je suis un libertin et non un sadien. Je ne séduis pas les femmes pour obtenir d’elles des faveurs sexuelles. Je collectionne cependant les femmes comme Don Juan. Certaines femmes jouent avec moi. S. R. a ainsi joué avec moi. Je suis soumis à un processus d’évitement dans mon rapport aux femmes. Les femmes semblent comprendre tout cela dans mon regard. Je voudrais pouvoir sortir de moi-même par la porte de mon regard pour rejoindre une femme. Il ne s’agit pas pour moi de jouer avec les femmes. Ce sont elles bien au contraire qui jouent avec moi. Mes textes : ce que les femmes ne veulent pas entendre. J’ai pris la décision de dire non inconsciemment aux femmes que je rencontre. Je ne suis pas avec elles dans le temps présent. Tout de suite, je me mets à réfléchir et à calculer. Je dis oui après coup et c’est toujours trop tard. La femme a alors décidé de revenir sur sa décision. Je mendie des faveurs alors que ce serait aux femmes de me demander si je veux bien. Rapport inversé.

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Jeudi 18 mai

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J’ai dit à F. F. que Bergounioux était dans le tout : il veut avoir tout lu, tout connaître. Que moi au contraire je me voulais dans le rien. Lire le moins possible, dégager au maximum mon esprit de celui des autres. Que le je parle les autres me poussait ainsi à me défaire au maximum de la pensée et de la parole des autres car il me conduisait à souffrir de ces pensées, de ces paroles. Que ma haine des livres venait de là. Que je cherchais à écrire ce qu’il ne faut pas écrire et pour être sûr de ne pas être publié. Que c’était donc des sortes d’anti-livres que j’écrivais. L’apprentissage de la pensée des autres me fait souffrir en m’amenant à me parler les autres. Or pour avoir accès aux femmes, il faut justement faire sienne la pensée des autres. Il faut travailler à s’intégrer au groupe. J’ai choisi moi bien au contraire la solitude. Le célibat est l’état qui me permet de développer ma philosophie du rien.

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Jeudi 1er juin

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Penser le rapport entre ma schizophrénie et mon libertinage. Madame D-S. m’a dit qu’elle ne soignait pas mon libertinage mais ma schizophrénie.

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Victor Hugo est dans le je parle les autres, du coup il n’est pas en mesure de penser son idiotie.

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Parler avec une belle femme, c’est agréable parce que ça rend beau.

Le plaisir de créer, c’est le plaisir de travailler à se rendre beau en créant de belles choses.

Se sentir beau et se sentir heureux sont une seule et même chose.

Le bonheur que l’on prend à être avec une belle femme et le bonheur de créer ne sont-ils pas un seul et même bonheur ?

Jouir d’un corps de femme, c’est consommer sa propre beauté. On s’aide pour cela de la beauté de ce corps de femme en tant qu’il nous éveille à notre propre beauté. Et le sentiment de tristesse et de mort qui suit l’acte de la jouissance vient du fait qu’on a été amené à tuer ainsi notre propre beauté.

J’aime partir à la recherche de la promesse du plaisir.

Dialoguer ainsi avec moi-même, c’est m’envoyer à moi-même des mots d’amour et ainsi à toutes les femmes.

Seul avec moi-même, c’est-à-dire seul avec toutes les femmes.

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Mardi 6 juin

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J’ai besoin de rester seul avec moi-même parce que je suis deux. Je ne peux pas être deux avec quelqu’un d’autre. J’ai besoin de me promener. Je suis pris dans un processus qui me porte à toujours me faire deux et si je bloquais ce processus, je m’asphyxierais. Jean-Sébastien ne veut pas comprendre cela car il ne sait que penser rationnellement. La même chose pour Bergounioux. Je ne peux pas penser exclusivement rationnellement car je suis deux. Et je ne peux pas cesser d’être deux. C’est parce que je suis deux que je suis porté à penser la femme comme un objet. Je ne peux pas partager mon silence avec une femme sans prendre le risque de m’abandonner et donc de me perdre. J’ai besoin de rester deux pour être heureux. Seules mes amies femmes peuvent entendre cela. Je veux les protéger de moi-même en m’interdisant à elles.

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Jeudi 15 juin

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Comme Antoine de Galbert, le fondateur de la Maison Rouge, je cherche à sauver quelque chose. C’est moi que je cherche à sauver. Il me faut pour cela ne pas devenir un artiste. J’ai le sentiment qu’on ne peut plus juger visuellement les œuvres plastiques. Le combat pour défendre un vrai travail, humain, issu de sa faiblesse et de sa souffrance, est perdu d’avance. Il y a trop d’œuvres plastiques et la plupart sont justes les œuvres de gens qui pensent qu’il faut être un malin pour réussir dans le monde de l’art. Mes écrits seuls me permettent de témoigner de mon humanité. Il y a soit l’art brut, soit l’art net (l’art officiel et tendance, l’art qui se vend dans les galeries), mais pas de place pour l’art tout court. J’appelle moi cet art l’art idiot. C’est l’art qu’on crée avec ses faiblesses et ses incapacités, bref avec son humanité. Je veux sauver ma pensée en la dessinant, en l’enregistrant visuellement. Il faut dire cette pensée pour la montrer, pour témoigner de sa valeur et cette valeur, c’est ma conviction d’avoir quelque chose à dire et à sauver. Les artistes mondains considèrent cela comme de la naïveté.

Je veux sauver mon bonheur de penser. Sauver le plaisir que je prends à jouir de ma propre pensée. L’idiotphysique est la science de cette pratique particulière de la pensée qui consiste à jouir de soi-même.

J’ai dessiné mes grammaires. Je les ai écrites (construites) visuellement.

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Il faut suivre la nature sexuelle des choses. Ne pas chercher à se contrarier en réfrénant les penchants intimes qui fondent la structure interne de notre machinerie amoureuse.

Montrer ma pensée, la rendre visible, en en faisant une peinture.

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Vendredi 16 juin

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J’apprends sexuellement la ville.

La phrase qui me revient sans arrêt en boucle à l’esprit en me rappelant Madame de la Critique de la Raison Pure : « Vous êtes si grande ! » Et j’ai alors le sentiment qu’elle a triomphé de moi en me transformant telle une Circée en son cochon.

Mon déphasage de la pensée : Celui qui vit n’est pas celui qui pense. C’est pourquoi j’ai sans arrêt à revenir sur moi-même pour penser ce que j’ai vécu. Je cours ainsi sans arrêt après moi-même pour rentrer en possession de mon existence. Pour pouvoir donc dire je pleinement.

Je ne suis pas celui qui aime les femmes que j’aime. Je suis juste celui qui raconte la vie amoureuse de cet autre moi-même.

On ne peut pas soigner la folie avec la seule raison. On a en effet aussi besoin de la folie elle-même pour espérer pouvoir échapper à ses griffes.

Enchaînement de pensées du « je parle les autres » : « J’ai triché. On ne peut pas toujours marcher droit. Il va à la fac. » 

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Il est 16h26. Heureux de ce que je viens d’écrire. Il faut que j’approfondisse cette question de mon libertinage en me documentant sur la question. Brix parle dans son livre d’un poète libertin. Il s’agit du chevalier de Parny qu’il présente comme un poète élégiaque. Il dit qu’avec le chevalier de Parny, les libertins n’hésitent pas à s’en référer à Dieu pour témoigner de la valeur de leur libertinage. N’est-ce pas cela même que je suis ? Un poète chantant le véritable libertinage ?

Il est maintenant 16h33. Nous sommes vendredi, la bibliothèque ferme donc aujourd’hui à 17h. Sentiment d’avoir bien travaillé aujourd’hui. Je repense aussi au texte de Vuarnet Le Philosophe-artiste. Vuarnet parle dans ce texte des libertins en disant qu’ils sont une des expressions historiques qu’a pu prendre la figure du philosophe-artiste. Encore une piste à approfondir !

Ne pourrait-on pas aussi étudier le cas d’Artaud en s’intéressant à son rapport aux femmes et en montrant que ce rapport est essentiel pour saisir sa créativité ? Artaud pourrait ainsi s’intégrer lui aussi par ce bais à la famille des libertins. Vuarnet parle bien du cas Artaud en le présentant lui aussi comme un philosophe-artiste.

Et Kierkegaard n’a-t-il pas lui aussi eu affaire à un certain libertinage ? Il a été un amoureux des femmes et a souffert religieusement de cet amour.

Et Bataille ? Et Klossovski ?

Je vais maintenant aller jouer au mangeur de femmes.

Lundi 19 juin

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Je me suis levé ce matin à 10h30. Je suis parti de chez moi à 11h45. J’ai fait quelques courses avant. Je suis passé à la librairie de Frédéric en allant chez Monsieur le Président. J’y ai juste passé 5 minutes et je n’ai rien acheté. Je suis descendu sur la ligne 1 à Hôtel de Ville. J’ai retrouvé David Sauzé chez Monsieur le Président. On a bien échangé. David m’a parlé du livre de Foucault La Volonté de savoir (le tome 1 de L’Histoire de la sexualité). J’ai parlé à David de ma réflexion actuelle sur le libertinage et sur la relation entre schizophrénie et libertinage. Foucault dit qu’au XIXe siècle, il y a eu une grande libération de la parole sur la sexualité mais que cette libération de la parole a servi à renforcer le pouvoir sur la sexualité car elle a été encadrée socialement. On a commencé ainsi à répertorier les différentes déviances sexuelles. On n’a plus enfermé que les fous. Les fous semblent donc être les derniers à résister contre la société, les seuls à représenter un danger pour la société. On n’enferme plus les libertins ni les marginaux. David m’a dit que la sexualité était aussi pour lui au centre des rapports humains. Il m’a parlé du film Ridicule. Je lui ai en effet parlé de mon collègue P. et de mon sentiment d’être dominé par lui. Il m’a dit que P. était engagé dans un rapport de domination avec les autres et que c’était pour cette raison que je ne pouvais que perdre face à lui lorsque j’essayais de le dominer à mon tour pour contrer sa domination. Je ne cherche pas moi à l’humilier et pour cette raison, je ne peux que perdre ce combat. En revanche, je reprends la main en écrivant tout cela. J’utilise ainsi l’écrit pour sauver mon oralité en contrant ce type d’humiliation. Il m’a dit qu’Onfray avait consacré un tome de sa Contre-histoire de la philosophie aux libertins du XVIIIe siècle. Il m’a redit qu’on pouvait me voir comme un libertin contrarié. Je lui ai parlé du rapport entre fascisme et libertinage et du fait que je cherchais à m’en prendre à ce fascisme en livrant aux autres mon vrai visage de libertin. J’ai voulu enlever mon masque et pour cette raison, je suis devenu schizophrène. Il m’a parlé du contrôle exercé par la société sur la sexualité. Qu’avec la pornographie, les gens étaient soumis à une pression de réussite. Qu’on leur demandait de devenir aussi performants que les acteurs pornos. Que de plus en plus de jeunes avaient à cause de cela un rapport problématique à la sexualité. Il m’a dit qu’avec les médicaments qu’ils prenaient, les schizophrènes étaient cassés sexuellement. Qu’ils étaient voués à échouer sur le plan de la sexualité. Il y avait au restaurant à côté de nous un homme qui est entré dans notre discussion. Il nous a parlé je crois de la question du pouvoir. Du fait que sexualité et créativité étaient liés. Je n’ai pas très bien suivi ce qu’il nous a dit, mais comme David, j’ai trouvé sympathique sa prise de parole dans notre discussion. Il y a pour moi un lien entre le fascisme et la recherche de la beauté. Et entre la beauté et la sexualité. David m’a dit que Sade était un auteur fasciste mais pas Cyrano de Bergerac. Il faudra que je lise cet auteur libertin. J’ai vu un de ses livres dernièrement à la librairie de Frédéric. Je regrette de ne pas l’avoir acheté. Il faut distinguer le libertinage du XVIIe siècle et le libertinage du XVIIIe siècle. David m’a donné des nouvelles de L. , la sœur de Daphné. On est convenu avec David de manger de nouveau ensemble lundi prochain chez Monsieur le Président. J’ai raccompagné David jusqu’à son arrêt de bus. Heureux de ce moment passé ensemble. C’est lui qui a payé aujourd’hui le repas. Monsieur le Président nous a offert un saké à tous les deux.

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Je me sens euphorique. Heureux. Comme libéré.

Je me sens désensorcelé.

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David m’a parlé du double point de vue de Foucault sur la psychanalyse. À la fois une pratique qui permet de rendre audible le discours des fous, qui permet de libérer leurs vérités et en même temps une pratique qui les encadre, qui permet de contrôler leur folie. La psychanalyse les encadre notamment en incitant les fous à livrer leur silence, ce qui s’apparente à une sorte de confession, à une tentative donc de se racheter. De reconnaître ses fautes morales.

David m’a redit que j’étais travaillé moralement par mon libertinage et que cela faisait de moi un libertin contrarié. JS m’a dit lui qu’il ne me voyait absolument pas comme un libertin. Il m’a dit qu’encore une fois, je cherchais à intégrer une famille en me trouvant avec elle des points communs. Que cela faisait donc partie de ma recherche continuelle de frères, d’étiquettes à apposer sur mon travail.

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Mercredi 21 juin

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Je vis en couple avec moi-même.

Avec F. F. : Je me suis dit que l’idiot était un mauvais acteur. Qu’il ne savait pas jouer sur la scène de l’existence.

Relation entre le « je parle les autres » et le « je parle avec les autres ». J’étais avant incapable de communiquer avec les autres car ne sachant que les parler, je n’avais pas de point de vue propre. J’ai réussi depuis à faire de mon idiotie un point de vue propre sur le monde.

Je pesais 81 kg ce matin.

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Lundi 26 juin

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Je n’en ai pas envie. C’est juste une envie que je joue par habitude.

Une envie ennuyeuse…

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Un libertin ? Je ne suis en tout cas absolument pas un séducteur.

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Se livrer totalement comme je le fais dans mes journaux. Ce que ne ferait pas un libertin. Un libertin ne prendrait jamais ainsi le risque de tout dire de lui-même. De se livrer sur sa duplicité.

Foucault parle dans son ouvrage La Volonté de savoir d’un texte : My secret Life. Il s’agit d’un ouvrage du XIXe siècle dont l’auteur est anonyme. Onze volumes consacrés aux moindres aventures de son sexe.

Il me faudrait lire les écrits de Cyrano de Bergerac.

Est-ce que je m’interdis de séduire les femmes ? Est-ce une incapacité ? N’est-ce pas cette incapacité qui me porte à me faire libertin par nécessité de pratiquer le sexe ? De ce point de vue, je suis un anti-Don Juan.

Je cherche à faire des livres avec ma décision de ne plus peindre.

Il faut que je me remette à travailler sur mon pari de faire le Sacre ou une autre résidence.

Les libertins sont-ils toujours nécessairement des séducteurs ? Un homme incapable de séduire les femmes peut-il être malgré tout un libertin ?

Je ne m’appartiens pas. J’appartiens à un autre et j’ai nommé cet autre l’Idiot. C’est pour cette raison que je ne peux pas vivre en couple avec une femme. Il y a donc bien ici pour moi une nécessité à ne pas savoir séduire les femmes.

Mon idiotie, c’est ma façon à moi d’être religieux. C’est ma façon à moi de croire.

Oui, il faut éduquer le citoyen. Mais il faut aussi éduquer l’homme privé.

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Jeudi 29 juin

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Je ne suis plus dangereux pour les autres car j’ai réussi à prendre le contrôle de mes pulsions en descendant dans mes machines psychologiques. Je pense que j’aurais pu devenir sans cela un méchant libertin.

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Je ne séduis pas les femmes. En revanche je me raconte des histoires dans lesquelles elles sont amoureuses de moi. Madame D-S. m’a aidé à souligner la notion de « se raconter des histoires ».

En me déconstruisant, je suis parvenu à me rendre inoffensif. Je ne suis pas dangereux pour les femmes comme Don Juan. Je suis bien plutôt un ami des femmes.

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Je préfère faire les ouvertures que les fermetures. Cela n’est-il pas en contradiction avec le fait que je préfère les départs aux arrivées ?
 
Toujours cette même phrase : il faut éteindre le beau.

Est-ce qu’on jouit mieux lorsqu’une femme est belle ? On a en tout cas plus le désir de jouir d’elle. On dit d’une belle femme qu’elle est excitante. La beauté d’une femme excite nos pulsions sexuelles.

Quelle est la relation entre la beauté d’une femme et la jouissance qu’elle est en mesure de susciter en nous ?

L’idiot : celui qui croit à la vérité de cette relation beauté-jouissance. L’art repose sur cette vérité. Les matérialistes remettent en cause cette vérité et pour cette raison jugent l’art faux. Platon voulait ainsi chasser les poètes de la cité.

Les poètes chantent le beau que les matérialistes cherchent à éteindre.

J’écris avec ma beauté. Je parle à partir d’elle.

Je suis face aux femmes avec ma concupiscence comme un enfant gourmand face à une pâtisserie. Gourmandise et concupiscence…

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Voici ce que j’ai dit à F. F. mardi : « Je suis en train de taper contre un mur. » J’ai apporté avec moi le problème de mon rapport aux femmes. Mais ce problème, je ne peux pas le résoudre rationnellement. La seule résolution possible : utiliser la ruse de mon inconscient. Il me faut donc faire travailler mon inconscient. Il faut que ça se résolve et non que je le résolve. Ça doit se résoudre naturellement. Il me faut suivre la pente de ma nature pour aider ma nature à reprendre confiance en elle et ainsi lui permettre de se résoudre elle-même.

Mon rapport aux femmes : il s’agit d’une forme d’être. Une façon de penser. On ne peut pas changer de forme d’être. Tout ce qu’on peut faire, c’est jouer avec. C’est ainsi que je joue au mangeur de femmes. Lorsque je frappe ainsi contre le mur, je répète des paroles en parlant les autres. Ce qu’il me faut faire, c’est bien au contraire penser en parvenant à traverser le mur de ces paroles.

On ne peut pas résoudre scientifiquement un problème posé par une forme d’être.

En jouant au mangeur de femmes, est-ce que je ne m’invente pas ainsi une forme d’être pour tenter de résoudre ma forme d’être incapable d’aimer une femme ?

L’homosexualité est une forme d’être. L’idiotie en est une autre. Il ne faut pas chercher à soigner l’idiotie tout comme il ne faut pas chercher à soigner l’homosexualité.

Avec l’écriture de mon journal, j’ai pu rendre visible ma forme d’être. Mon idiotie constitutive.

F. est un marchand de livres (le libraire). Moi je suis un acheteur de livres. Un marcheur qui achète des livres.

T. P. (un artiste que j’ai rencontré aux Beaux-Arts) à propos de moi : « Tu es en guerre contre les gens beaux. »

On a créé le label « Bio » pour les aliments ou encore « Made in France » pour certains produits manufacturés. On devrait de la même façon créer le label « Idiot » pour les œuvres d’art produites par la pratique poétique de l’inconscient. Ça permettrait de défendre la qualité artistique de ces œuvres face à la diffusion de masse d’objets manufacturés prétendument artistiques qui envahissent le monde de l’art, ne laissant ainsi pratiquement aucune chance de survie à tout ce qui est véritablement le fruit d’une pratique poétique.

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Lundi 3 juillet

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J’ai noté un de mes rêves. Je vais descendre mais on va m’arrêter et je vais être fait prisonnier. On va alors me mettre dans un donjon et au secret. Personne ne pourra savoir que je suis là. On va me laisser mourir là.

Ce Journal du recommencement ne peut avoir de sens que si j’avance et non si je me contente de seulement toujours recommencer.

Lorsque quelqu’un cherche à m’humilier, je suis totalement incapable de me défendre contre ses attaques.

Je pense sur du verglas, mon esprit est verglacé, c’est pour cette raison que je n’arrête pas de glisser en écrivant.

Le fou : celui dont l’intimité dysfonctionne.

Pour rendre visible sa folie, il n’y a donc rien de mieux qu’un journal intime. On peut en effet par l’écriture du journal intime rendre compte de tous les dysfonctionnements de son intimité.

Je suis devenu tout entier mon intimité.

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Je n’ai pas de langue maternelle. J’ai juste un corps maternel. Et une langue paternelle et pas de corps paternel ?

Mardi 4 juillet

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Et il ne faut pas aussi que j’oublie que je suis un handicapé. Que ce délire est lié chez moi à une maladie dont je ne suis pas responsable. Que donc je cherche à témoigner de mon délire avec l’espoir que ce témoignage permettra de mieux saisir la nature de ce genre de délire. Je souffre du je parle les autres et ce délire est pour moi la seule façon de parvenir à sortir de cette souffrance du je parle les autres. J’ai besoin de jouer au mangeur de femmes pour m’oxygéner. C’est ma façon à moi d’exister malgré tout. C’est la lutte que je mène pour parvenir à être un idiot en liberté et non un idiot anéanti par le pathologique et ayant donc abdiqué face à la maladie.

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Les salons de massage : des machines à broyer le cœur et les sentiments et pour nous rendre opérationnels socialement. Je pense ici à la notion de biopouvoir développée par Foucault.

La vraie question que pose l’idiot, c’est celle de son intimité. Il faut entrer dans l’intimité d’une personne pour saisir son idiotie.

Cela fonde la nécessité éthique qui me pousse à dévoiler aux autres mon intimité.

Je me suis noyé dans mon intimité. Je n’ai pas réussi à rejoindre la terre ferme des autres.

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Il est 16h36. Je viens de lire Cyrano de Bergerac de Paul Mourousy. J’ai dû lire un tiers du livre. C’est une lecture qui me plaît et me donne envie de me prendre pour Cyrano de Bergerac.

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Jeudi 6 juillet

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J’ai développé dans mon traité une vision atomique du langage. Le mot idiot est le clinamen de cette vision. C’est pour cette raison qu’il est possible de créer une physique du langage en s’appuyant sur ce mot comme sur un point d’Archimède. Je repense ici l’idiotphysique comme une tentative d’écrire poétiquement une linguistique. Je veux être au plus près de mon expérience de la langue. Je ne veux donc pas développer ma pensée en m’appuyant sur celle des autres, mais au contraire en faisant en sorte d’être le moins perturbé possible par la pensée des autres et cela pour me consacrer pleinement à ma propre expérience des mots. D’où mon rejet des livres non-poétiques et des études universitaires. Je veux comprendre poétiquement mon rapport aux mots. Je veux construire poétiquement une science des mots. Avec mes journaux, je me donne à voir mes pensées et mes agissements et cela pour mieux les saisir poétiquement et ainsi les donner à comprendre à moi-même. Je suis à moi-même mon propre terrain d’étude. Tout mon effort consiste donc à me couper des influences extérieures et cela pour pouvoir mieux m’étudier.

Quel drôle d’idée de prétendre être linguiste lorsqu’on est comme moi incapable d’orthographier correctement la langue française. Je méconnais les éléments les plus essentiels de la grammaire française et je prétends pourtant avoir écrit une grammaire révolutionnaire du langage qui fait de moi un nouveau Saussure. Normal dans de telles conditions de susciter la moquerie des autres. Est-ce là un délire des grandeurs ? Suis-je un sot incapable de saisir ma taille ? Suis-je un nain se rêvant en géant ?

Mes travaux de linguistique ne sont-ils que piètre et creuse rhétorique ? De la pensée poussiéreuse et réactionnaire de surcroît ? Il se pourrait bien que je ne sois qu’un fou littéraire juste bon à être interné parce qu’il dilapide l’argent de sa famille en menant une existence licencieuse.

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Lundi 10 juillet

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Il est 14h14. J’ai déjeuné avec David S. . On a pu parler très librement. Chouette discussion. David m’a dit que mon crime à moi, c’était d’accorder de l’importance à des choses que normalement on doit taire. J’écris ces choses, je les rends visibles, partageables et cela ne se fait pas. Tous les gens ont en eux des pensées animales mais ils les évitent, font en sorte de n’être pas pris par elles. Ils se les taisent à eux-mêmes. Ils ne les laissent pas gagner leurs consciences. Moi au contraire je prends le temps de m’arrêter sur chacune de ces pensées animales. Je passe mon temps à les décortiquer, à les analyser dans tous les sens. Je descends dans la machinerie de mes pensées pour en comprendre le fonctionnement. Cela fait que je suis bizarre. Que les gens me trouvent étrange et ont peur pour cela de moi.

J’ai noté que David cherche en parlant alors que JS lui ne livre jamais que le résultat de ses réflexions. Il ne montre pas le travail qu’il accomplit. Il cache aux autres ce travail. Daphné aussi a cette sorte de silence en elle. En revanche David, lui, rend visible l’élaboration de sa pensée. Il est en cela poète et artiste comme moi. Il me parle de ses lectures, il appuie ses réflexions sur des auteurs qu’il n’hésite pas à me citer. JS ne cite que très rarement des auteurs. Il m’avait dit un jour que j’étais le seul avec qui il parlait sociologie.

J’ai redit à David que j’avais le sentiment d’avoir à dévoiler mon intimité pour être en mesure de traiter mon handicap. Dans mes journaux, je donne à voir mes réflexions, mes hésitations, le cheminement de mon travail. Je rends visible le travail de mon intimité. Je suis le personnage de mon intimité. Je joue le rôle que mes rêves, que mes fantasmes me font jouer. Je me rends visible à moi-même et ainsi aux autres.

JS et Daphné sont du côté de l’écriture. David est comme moi un visuel. Je ne suis moi absolument pas auditif. Il est moins exclusivement auditif que ne le sont JS et Daphné.

David m’a expliqué ce que Foucault nommait le biopouvoir. Il s’agit d’inciter les gens à faire des enfants. Il ne s’agit plus pour un pays de conquérir des territoires mais de faire en sorte que la population s’accroisse et pour qu’ainsi se développe la richesse du pays. C’est là la logique de puissance de l’économie d’un pays.

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Je suis un peintre qui a pour religion la femme.

Je voudrais ne plus me parler les autres = Je voudrais ne plus penser.

Il est 15h58. Je viens de poursuivre ma lecture de Cyrano de Bergerac de Paul Mourousy. Je me sens Cyrano. Je me rêve ainsi en lisant le récit de sa vie. Cela me change de mes lectures qui n’en finissaient plus autour du mouvement poétique du Grand Jeu. Je me sens ainsi un nouvel enthousiasme. Le récit de cette vie m’offre une nouvelle source d’inspiration. Je deviens un libertin du XVIIe siècle !

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Jeudi 13 juillet

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Je raconte mon existence en tenant mes journaux et ainsi j’écris le récit d’un rêve. On peut ainsi lire mes journaux comme le récit d’un long rêve.

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Il est 16h39. Je viens de reprendre la lecture du livre de Benvenuto Cellini. Un artiste qui raconte sa vie. Cela me passionne.

Il est 17h23. Je viens de poursuivre ma lecture de Cyrano de Bergerac de Paul Mourousy. Il ne me reste plus que deux chapitres à lire.

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Lundi 17 juillet

Il est 11h16. Je viens d’arriver à la bibliothèque de David. Je me suis levé ce matin à 9h. J’avais mal à la gencive. J’ai appelé mon dentiste et j’ai eu un rendez-vous pour demain matin à 9h30. Cela me soulage. Je ne voudrais pas traîner ce mal aux dents pendant toutes mes vacances.

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Je fais penser mon père à travers moi-même. Je montre sa pensée en me mettant à nu dans mes journaux. Le criminel de mon journal n’est-il pas ainsi mon père lui-même ?

Je m’en prends à moi-même dans mes journaux. Je m’attaque moi-même et ainsi je fais une critique du personnage que j’ai eu comme père et qui a fait de moi un criminel en m’éduquant à mort.

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Je travaille poétiquement en délirant.

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C’est la beauté qui me rend idiot.

Il est 15h48. Je viens de finir Cyrano de Bergerac de Paul Mourousy. Je me rêve avec bonheur être un Cyrano de Bergerac.

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Jeudi 10 août

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Hier soir, j’ai dîné avec C. P.  On est allé au restaurant Au pied de fouet qui se trouvé à côté de la Place des Vosges. On a bu ensuite des coups dans deux bars. Son copain L. nous a rejoints un peu avant minuit. Je les ai quittés vers 0h20. On était alors dans un bar près de la Place de la République. Chouette soirée passée avec Claire. Claire m’a dit que le fait d’accorder une grande valeur à la beauté des femmes était quelque chose de romantique. On considère ainsi inégalable l’œuvre de la nature.

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Ça fait donc pas mal de temps que je n’avais pas repris ce journal. J’ai décidé d’y mettre un terme. Je veux que cela m’aide à sortir du recommencement. J’ai rendu visible le recommencement grâce à ce journal mais je veux maintenant passer à autre chose. J’ai peur que ce journal me prenne tout mon temps d’écriture. Je veux faire de nouvelles expériences littéraires.

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