Extraits
Il est difficile de s’essayer à prendre prise sur ce sur quoi nous trébuchons lamentablement.
Il y a là pourtant une source de richesse inépuisable et pour chacune de nos créations. Le reste n’est qu’exercice.
Les textes qui vont suivre sont nés de cette confrontation avec la pierre des choses. C’est pour retrouver les petits riens de mon enfance que je me suis décidé à me confronter à elles.
Il s’agit pour moi de serrer au plus près le vent de l’idiotie car ce vent seul peut me permettre de remonter le courant de mon inexistence et pour que langue se fasse.


Réapprendre à chanter.
Seul celui qui réapprend à chanter est véritablement en mesure de chanter.
C’est pourquoi l’oiseau ne sait pas chanter.
L’homme véritable, c’est un oiseau qui a perdu sa voix mais à qui il a été donné de réapprendre à chanter. C’est là seulement que l’homme est en mesure de réaliser l’homme : l’homme réalise l’homme en réapprenant l’homme.
L’oubli est fondateur en tant que l’oubli seul nous permet de réapprendre quelque chose autrement dit de nous en rendre maître et possesseur.
À l’origine de toute possession, il y a une perte.
Cette perte seule peut nous conduire à faire l’expérience de la langue.
On ressent le besoin de fixer la langue, et c’est cela même qui est chanter, parce qu’on a été amené à perdre la langue et pour avoir voulu en sortir.
C’est parce que ça dit non qu’il m’a été donné de réapprendre à chanter. Car ce non est non du corps : il me revient donc de l’investiguer par le chant de la langue et pour en prendre dans la langue toute la mesure.
Ça dit non parce que ma langue n’est pas encore fixée ou plutôt qu’elle ne l’est plus.
C’est donc en travaillant à fixer la langue autrement dit en travaillant à réapprendre à chanter que je parviendrais à me dégager de l’entrave de ce non du corps.
Ce non, il s’est imposé à moi par le mot idiot. C’est le mot idiot qui m’a amené à nommer le non de mon corps.



L’ESCALIER

« Ça devait arriver » disent-ils.
Et je plonge ma tête dans la boue de leurs désirs.
Je me savais puissant, de la puissance de ceux qui savent s’ignorer.
Je ne vivais que pour moi-même et fier, j’étais, de mépriser ceux qui ne savaient pas s’élever jusqu’à moi en empruntant les marches de mon corps.
Mes nuits étaient pleines de corps, de tous ces corps que je m’étais interdit de séduire et ils me paressaient jusqu’au dégoût.
Je m’abandonnais à eux et en femme, pour mieux pouvoir m’oublier.
C’est donc en courant que je montais les marches de mon inexistence et dans l’insouciance d’un homme qui se craint trop pour ne pas se défendre de ceux qui pourraient parvenir à la savoir.
Je vivais ainsi dans un continuel effort sur moi-même mais sans rien savoir de ce que me coûtaient ces efforts.
Tout ce devait d’exister pour ce que je souffrais.
J’étais la loi et cette loi régissait chaque chose.
Je rencontrais un jour une femme qui joua à me savoir et ce faisant, me fit passer à travers moi-même.
C’est ainsi que, dévalant les escaliers, je me retrouvais à l’autre bout de mon corps, découvrant du même coup ce que je ne voulais pas savoir.
Et tout mon corps bascula dans le remord. Je dus alors apprendre de moi-même mon impossible et abandonner, au nom de cet impossible, tout ce dont j’avais pu jouir jusqu’ici.
L’océan de mes vices se couvrit de rides et ces rides surent si bien m’immobiliser que je sombrai en moi-même et mon impossible m’enferma dans un corps de pierre pour que se fasse pierre ce dont je m’étais permis de douter.
Ma voix, lorsque je me risquais à faire un pas en avant, me faisait taire car naissait alors en moi la honte d’avoir été la femme par laquelle je m’étais désiré et sachant que je n’y étais parvenu qu’en faisant souffrir celle qui m’avait fait naître à moi-même, je ne pouvais plus que dévorer le pain blanc de mon corps pour me punir au nom d’un impossible.
Je mangeais ce pain jusqu’à ne plus savoir manger.
Je ne pus bientôt plus voir ce que je voyais et du donc me résoudre à paresser pour ne pas avoir à me cogner contre les murs d’une raison qui brandissait mon impossible et qui, au nom de cet impossible, faisait de moi la victime de mon corps.
Je devins l’enfant des enfants, l’idiot des idiots.
J’aurais pu pleurer, mais mes larmes mêmes ne me donnaient plus de plaisir.
Ne pouvant m’agripper à mon corps, je m’écroulais dans un bruit de sourires et dévalais la pente jusqu’au pied de la première marche, la marche de l’idiotie.
J’avais le sentiment que je ne pourrais jamais me relever tant je pesais sur moi-même de tout le poids de ces marches d’inexistence.
Ce fut alors que je pris la décision de dire mon impossible, pour m’en saisir et parvenir, à l’aide de cet impossible, à ouvrir mon corps pour que langue se fasse, car langue se faisant, je pourrai, au nom de cette langue, montrer du doigt, d’un doigt de mépris, ceux qui m’avaient précipité au bas de cet escalier et justement pour briser ma voix, cette voix qu’ils craignaient pour le pouvoir qu’elle avait de les entraîner à l’autre bout d’eux-mêmes, pour qu’à leur tour, ils dévalent l’escalier.
Départ qui coûte pour celui qui recommence mais chaque marche signe une victoire sur moi-même et par la force d’une langue qui cesse de me vouloir parce que je la veux.
Chaque oui me pousse contre moi-même pour que je me retourne et ainsi tire mon corps jusqu’à la démesure d’une voix.
Car le corps est la voix de ceux qui se savent.
Je sais maintenant que c’est pour avoir été l’escalier par lequel sont montés ceux qui m’ont poussé jusqu’au bout de moi-même que je dois payer en impossible le prix de ma déraison.



LE TRAIN DE L’IDIOTIE

Un homme s’avance. Je suis dans le train de l’existence. Il me demande si j’ai payé mon titre de transport. Je lui dis que je n’étais pas au courant, que je pensais qu’il suffisait de monter dans le train.
L’homme demande alors l’arrêt du train et l’on me force à descendre. Je me trouve maintenant au bord de l’existence, sur un banc, le banc de l’inexistence.


Je crée comme d’autres marchent car la création est pour moi la seule façon d’avancer.
Je suis assis sur une chaise, incapable de me lever, comme paralysé. Alors je me lève et je m’aide à me lever. Je marche à côté de moi-même pour me réhabituer à la marche. Cet autre que je suis en mesure de jouer et qui vient à mon secours, je l’ai nommé l’idiot. Il est mon frère d’arme : il est mon seul compagnon, mon seul amour, le seul être à qui j’adresse un tant soit peu d’intérêt.
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